Au cours d’une lecture à peu près exhaustive du Journal officiel pendant la Commune, j’avais noté l’existence (dans le numéro du 11 avril 1871) d’un article consacré à la manifestation du 8 octobre 1870.

On parle beaucoup du 31 octobre, du 22 janvier… peu du 8 octobre.

Et donc, du 8 octobre, on s’est peu souvenu. Dans un rapport au Conseil général de l’Association internationale des travailleurs, à Londres, le 28 février suivant, Auguste Serraillier avait exécuté cette manifestation ainsi :

Le 8 octobre, une manifestation devait avoir lieu contre le gouvernement ; tous nos membres étaient présents, mais seulement à titre individuel, non pas en tant qu’Association ; il n’y avait pas d’action concertée, on ne fit rien.

En travaillant de façon un peu précise sur les textes écrits par Eugène Varlin, j’ai appris que cette « journée » avait été à l’origine de sa révocation comme commandant du 193e bataillon de la garde nationale. Pourtant, beaucoup d’auteurs, à commencer par Adolphe Clémence dans un bel article sur Eugène Varlin de 1885, font une confusion entre cette journée et celle du 31 octobre.

Heureusement, il y a davantage de documentation qu’on ne le croit sur ce 8 octobre. J’y ai appris des choses, notamment sur l’ambiance, à Paris, en ce début de siège. J’y consacre donc cinq articles, dont celui-ci est le premier, de ce site.

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Depuis le 17 septembre, la ville est assiégée, enfermée dans ses fortifications avec le gouvernement « de défense nationale ». Ce gouvernement est formé de ceux qui ont occupé les lieux du pouvoir après la journée du 4 septembre, il y a tout juste un mois. Il a donc peu de légitimité. Et il ne « défend » pas grand chose.

C’est un gouvernement « républicain », certes, mais bourgeois. Et pas très pressé d’organiser des élections. Que bien sûr, il a promises. La guerre et le siège sont de bonnes raisons — en tout cas ce sont les raisons invoquées — de différer les élections. La ville de Paris est elle-même administrée de façon très provisoire par des maires d’arrondissements nommés par ce pouvoir en remplacement des maires d’arrondissements nommés par le pouvoir précédent — une loi « bonapartiste » fait que Paris n’a pas de conseil municipal. Paris n’aura pas de maire avant… 1977. En cet automne 1870, il y a pourtant un maire, qui s’appelle Étienne Arago, et qui n’a pas plus été élu que les autres politiciens au pouvoir.

Les révolutionnaires réclament des élections et un conseil municipal — c’est d’abord ça, la « commune » de Paris.

Cette revendication semble légitime aux populations des quartiers populaires (malgré les deux pluriels et les deux occurrences de la racine « peuple » dans cette phrase, ceci mériterait d’être précisé).

Il y a la guerre, personne ne l’oublie, et le siège. La capitulation de Toul le 23 septembre. La reddition de Strasbourg le 28. Une offensive ratée à Chevilly le 30.

La guerre catastrophique, et le gouvernement de la défense nationale qui ne défend même pas la nourriture de ses administrés dans la ville assiégée. Le rationnement est une revendication populaire qui aura du mal à se faire entendre : le rationnement, c’est une garantie (ou en tout cas l’affirmation) que les riches ne vont pas accaparer les vivres disponibles, que ces vivres seront répartis équitablement. Espère-t-on.

La nouveauté, c’est que les Parisiens sont maintenant organisés (plus ou moins) dans des bataillons de la garde nationale. Parmi les bataillons nouvellement formés, il y a le 193e, dans le sixième arrondissement, dont Eugène Varlin a été élu commandant. Je n’ai trouvé ni la date exacte de formation du bataillon (vers la mi-septembre : les journaux datés du 15 septembre font état de seulement cent trente-huit bataillons, le 25 septembre j’ai vu mention du 208e), ni celle de l’élection du commandant. Beaucoup de révolutionnaires se font élire à la tête de leurs bataillons. Nous verrons Eugène Varlin lui-même expliquer leurs motivations dans une lettre du 19 octobre, que l’on trouvera dans un des articles suivants.

Le 5 octobre. Avec Gustave Flourens, des bataillons de Belleville sont venus, le 5 octobre, sur la place de l’Hôtel-de-Ville, pour réclamer la levée en masse, des élections municipales et le rationnement. Dix mille personnes sur la place, dit le quotidien blanquiste La Patrie en danger. Ils ont été traités avec une certaine morgue par Trochu, général et président du gouvernement (celui dont Victor Hugo suggéra d’orthographier le nom « trop chu »). Ce qui n’a rien réglé : les 63e, 172e, 173e, 174e et 243e sont rentrés à Belleville « fort irrités » (dit, toujours le quotidien blanquiste).

Et ce qui a fait arriver, avec l’aide du calendrier, trois jours après, le 8 octobre.

À suivre

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L’image de couverture représente, à Strasbourg, les ruines du Temple neuf quelques semaines après le bombardement de la nuit du 24 au 25 août et l’incendie (des bibliothèques, notamment). Je l’ai trouvée sur Gallica, là.

Livres et articles cités

Le Conseil général de la première Internationale 1870-1871, Éditions du Progrès, Moscou (1975)

Clémence (Adolphe)Eugène Varlin, La Revue socialiste (1885).