Louise Millière tient une librairie papeterie 65 rue de Turbigo. Elle y vend des journaux. Un encart publicitaire que publie régulièrement Le Radical et qui sert de couverture à cet article en témoigne. Aucune chance qu’elle rate les lettres publiées dans Le Figaro d’hier (et dans notre article précédent), d’autant plus que d’autres journaux les reprennent. Elle écrit aussitôt une réponse (je la cite en vert):

Paris, 8 juillet 1872
À Monsieur le Rédacteur en chef du journal le Figaro
Monsieur,
Je ne m’explique pas comment une lettre signée Rochefort, et le brouillon de la réponse à cette lettre par Millière ont pu être détachés du dossier 23592 portant ce titre: « Correspondance trouvée chez le Sieur Millière et placée sous le scellé N°1, transmis à l’État major général, commandant l’armée de Paris » — pour paraître en partie dans le Figaro du 7 juillet comme réclame à l’Autographe du même jour.
[Lorsqu’il a été question des informateurs de Ducamp, j’ai séparé la police et la presse. Eh bien, ici, c’est l’armée — peu distincte de la police à cette période — qui a renseigné la presse! Ce n’est pas la première fois que nous voyons le Figaro utiliser ce genre d’informateurs… C’est à propos d’une démarche tentée par la mère de Louise, dont je parlerai dans le prochain article, que Camille Pelletan, dans La Semaine de Mai, avait relevé un « touchant exemple de l’union de la presse boulevardière et de la dictature du sabre ».]
Je vous demande, Monsieur, de vouloir bien insérer dans votre plus prochain numéro la lettre ci-jointe. Verdure, caissier de la Marseillaise, l’écrivit à Millière, afin de faire taire ces tristes calomnies.
Je regrette, Monsieur, qu’on ne vous en ait point aussi communiqué l’autographe dépendant du dossier précité, vous eussiez, en le publiant, satisfait la curiosité du lecteur et servi la cause sacrée de la vérité.
Je vous salue, Monsieur
Louise Millière

[Elle devait donc posséder une copie de cette lettre, qu’elle recopie à la suite de la sienne. Notez qu’Augustin Verdure, lui, est déjà sur La Guerrière, qui a quitté le port de Brest pour la Nouvelle-Calédonie le 3 juin.]

Paris, 7 février 1871 [à la veille de l’élection qui a vu Millière devenir député de Paris]
Citoyen Millière,
J’ignore quel est l’inepte Basile [calomniateur] qui vous a accusé, dans la réunion publique [une réunion électorale, voir ci-dessous], de détournement de fonds pendant votre gestion à la Marseillaise. Quel qu’il soit, je me fais fort de le confondre, où et quand vous voudrez.
Un fait remarquable d’ailleurs dans les annales de la comptabilité industrielle et commerciale, c’est que lors de la balance générale et définitive, la caisse, qui, d’après les écritures de l’administration, devait contenir 21.000 fr., en contenait 29.000 environ, c’est-à-dire un excédant de 8.000 fr. sur les chiffres produits par l’inventaire.
Est-ce là du détournement?
Vos diffamateurs paraissent avoir oublié que vous êtes resté en prison pendant les deux mois [je suppose qu’il veut dire pendant deux mois?] de l’existence de la Marseillaise et que, y eût-il négligence, gaspillage, etc., vous ne pouviez seul en être responsable.
Les rôles ne seraient-ils pas, par hasard, intervertis?
Les coupables ne se seraient-ils pas, en cette occurrence, érigés en ministère public?
Salut et égalité
A. Verdure, 8 Ste-Marie du Temple
Ex caissier de la Marseillaise

La réunion électorale dont il est question a eu lieu à la Reine-Blanche le 2 février, le « Basile » était Barberet, ancien de La Marseillaise lui aussi. Millière était présent (mais pas Verdure). Voir le Journal des Débats daté du 5 février.

Voulez-vous savoir où, moi, j’ai trouvé cette lettre? Eh bien, pas dans le Figaro, en tout cas, et d’ailleurs pas dans un autre journal non plus. Elle a écrit au Figaro, le Figaro n’a pas publié sa lettre et, cette fois, aucun autre journal ne l’a publiée. Certainement plus à cause de la question de la source qu’à cause de la rectification. Comment elle est arrivée dans les manuscrits conservés par la BhVP, je ne sais pas. En tout cas, elle y est! 

Le Figaro sera amené à reparler de Louise Millière un peu plus tard dans l’année, ce sera dans l’article suivant.

Je suis sûre que vous voulez en savoir plus sur Louise Millière. Lorsque j’ai préparé cet article (en décembre 2021), elle était inconnue du Maitron. Ce n’est plus le cas lorsqu’il paraît, voyez ici, mais la notice est très courte et j’en dirai un peu plus dans l’article suivant. 

À suivre, donc

Sources utilisées

Le manuscrit de Louise Millière est à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, avec la cote Ms 1131. 

Pelletan (Camille)La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).