Toutes mes excuses à Marellienne Expilly si l’actualité m’oblige à interrompre encore une fois son histoire.

Cet article est inspiré par et fondé sur un article de Lucie Delaporte paru le 21 août 2018 sur Médiapart, troisième d’une série de quatre qu’elle a intitulée « Le projet colonial en Nouvelle-Calédonie ». Toutes les parties en bleu sont des citations de son article

Années 1870. Communards et insurgés algériens sont déportés en Nouvelle-Calédonie.

Les yeux rivés sur la métropole, les communards, qui n’ont aucune intention de faire souche ici et n’ont que peu d’intérêt pour l’agriculture, attendent leur heure. Les Algériens, qui vivent dans un camp à part dans la cinquième commune et viennent vendre leurs fromages de chèvre aux communards rêvent eux aussi de retour.

Les uns comme les autres n’ont pratiquement aucune interaction avec la population kanak, formée d' »hommes préhistoriques ». Louise Michel, pourtant la plus curieuse de la culture kanak, parle ainsi de

bardes noirs chantant l’épopée de l’âge de pierre

pour désigner les conteurs kanak.
Les Kanak, qui ne se résignent pas à l’occupation française et ont multiplié les attaques contre les colons les premières années de l’annexion, sont perçus comme une menace. Les déportés politiques vont peu à peu s’identifier, face à eux, à des colons assiégés.

Lucie Delaporte cite le géographe Eugène Cortambert, qui écrit, en 1873:

L’installation en Nouvelle-Calédonie ne rencontre qu’un obstacle : ce sont les indigènes… Mais il est prouvé que leur nombre diminue dans une proportion des plus rassurantes et qu’à la fin du siècle on montrera dans les foires les derniers survivants des Kanaks.

Entre 1870 et 1878, les Kanak se voient déposséder d’une grande partie de leurs terres à un rythme qui s’emballe. Eux qui n’ont jamais eu d’animaux domestiques voient leurs cultures ravagées par le bétail de plus en plus nombreux des colons. Ils subissent pendant toutes ces années humiliations et mauvais traitements dans des travaux à peine rémunérés au service d’une colonie pénale qui ne cesse de s’étendre.
Une sécheresse exceptionnelle au printemps 1878, ainsi qu’un nouveau projet de village pénal sur le territoire kanak, mettent le feu aux poudres.

Les 25 et 26 juin 1878, les clans de La Foa et Boulouparis s’allient pour massacrer une centaine d’Européens. Bétail abattu, cultures incendiées, les colons sont obligés de refluer vers Nouméa et les autorités locales contraintes de demander de l’aide à Paris. Ataï, le grand chef de Komalé, prend la tête de l’insurrection.

Jean Allemane décrit avec respect un bagnard kanak, « d’une intelligence rare ». Quant à l’insurrection,

bien peu en ont indiqué les véritables causes, parce qu’elles sont loin de faire honneur aux divers éléments dits colonisateurs et auxquels une autre épithète conviendrait mieux.

écrit-il.

La répression est sanglante et féroce.

Dans un spectaculaire retournement de l’histoire, communards — déportés — comme insurgés algériens, qui ont tous tant souffert de cet ennemi commun vont donc s’allier avec les forces de l’ordre françaises pour écraser les Kanak. Les communards se rangent, presque comme un seul homme, derrière la « colonie française ».

Ataï et son fils sont tués par une tribu, les Canalas, ralliée à la France. Des villages entiers sont méthodiquement détruits. Entre 1 000 et 1 500 Kanak sont massacrés. — on sait comment les autorités françaises ont traité les restes des insurgés kanak, notamment la tête d’Ataï, qui n’est revenue en Nouvelle-Calédonie qu’il y a dix ans…

Dans Souvenirs d’un déporté, étapes d’un forçat politique, Simon Mayer raconte :

À la presqu’île Ducos, nous pensâmes qu’en présence de l’insurrection canaque il était de notre devoir de ne pas nous endormir dans un lâche sommeil et de défendre le gouvernement français. L’un des nôtres Rousseau père écrivit au gouvernement une lettre dans laquelle il proposait de se mettre à la tête d’un certain nombre de camarades et d’aller combattre les sauvages.

S’ils espéraient une grâce ou une amnistie plus rapide, les communards ont dû être déçus…

*

Presque cent cinquante ans plus tard, la même répression colonialiste.

En couverture le drapeau de Kanaky, photographié il y a quelques jours…

Livre cité

Allemane (Jean)Mémoires d’un communard — des barricades aux bagnes, Librairie socialiste (1906).