Comme je l’ai annoncé dans l’article précédent, je reviens sur une discussion à l’assemblée communale. Dans laquelle il est question de deux victimes de la guerre versaillaise.

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Louis Émile Boudée est né le 5 octobre 1839 à Paris (9e arrondissement ancien, c’est-à-dire îles de la Cité et Saint-Louis, Hôtel de ville, Arsenal). Il était ouvrier horloger. À l’âge de 20 ans, il s’est engagé pour sept ans comme zouave, il s’est réengagé pour sept nouvelles années en 1866, est devenu sergent en 1867.

Lors de la guerre franco-prussienne, il est sergent au 113e de ligne. Il est nommé chevalier de la légion d’honneur le 18 octobre 1870. Il n’a jamais signé son « récépissé de brevet ». En 1873, ces messieurs de la légion d’honneur s’en inquiètent. Et voici ce qu’ils apprennent, par une lettre d’un officier du 113e:

Comme les actes de l’état civil des individus nés à Paris avant la formation des arrondissements ont été brûlés en totalité dans l’hôtel de ville, il nous a été impossible de nous procurer l’acte de naissance de Boudée. [apparemment les documents concernant l’attribution de la légion d’honneur n’ont pas brûlé dans l’incendie du palais de la légion d’honneur!]
Ce sous-officier a disparu du régiment pendant l’insurrection parisienne, il a été tué, et d’après quelques renseignements qui nous sont parvenus, il se trouvait dans les rangs des fédérés.

En effet, Émile Boudée a été tué le 11 mai 1871 à la porte des Ternes. Nous en avons des preuves, acte de décès, inhumation, discussion à la Commune. Avant de les donner, je me réjouis à l’idée de la tête qu’aurait faite ces messieurs s’ils avaient appris que leur « chevalier » était un commissaire de police de la Commune.

En même temps que lui est mort Ernest Billot, qui avait 26 ans et était commissaire de police dans le quartier des Champs-Élysées — si j’en crois son acte de décès.

C’est dans le Journal officiel (et dans une version d’un procès verbal d’une réunion de la Commune) que j’ai appris leurs morts, mais leurs noms avaient été vraiment très déformés par les rédacteurs, aussi je me suis tournée vers les procès verbaux eux-mêmes. Il s’agit de celui du 12 mai, que j’ai déjà cité à propos de Wetzel. Voici l’ensemble de la discussion:

LE PRÉSIDENT [Il s’agit de Félix Pyat]. – Laissez-moi vous lire une lettre relative à un enterrement.

ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL (1re armée) 
Paris, le 12 mai 1871.
Le Major commandant la place Vendôme aux citoyens membres de la Commune.

L’enterrement civil des citoyens Émile Boudié [sic] et Ernest Billot aura lieu demain matin 13 mai à midi précises. On se réunira place Vendôme.

Prière aux citoyens membres d’y assister.
Salut fraternel.
Le Major, commandant la place Vendôme,
MAYER

MIOT. – Les citoyens dont il s’agit, sont morts en combattant.
CHARDON. – Cette lettre est pour nous un rappel à la politesse. (Bruit.)
LE PRÉSIDENT.- Si j’avais su que ces citoyens étaient morts en combattant, j’aurais, avant de vous donner lecture de la lettre, appelé votre intérêt sur son contenu; maintenant que vous savez, par l’organe du citoyen Miot, que ces braves citoyens sont morts pour défendre la Commune, je vous prie de nommer des délégués pour assister à l’enterrement.
LEFRANÇAIS. – Je trouve que le rappel à la politesse, dont a parlé le citoyen Chardon, est mal placé, les municipalités envoient leurs délégués aux enterrements des gardes nationaux morts dans leur arrondissement.
CHARDON. – J’ai vu l’enterrement du colonel Wetzel, il n’y avait pas un seul membre de la Commune!
DEREURE. – Nous ne pouvons pas être en même temps à la Commune et aux enterrements.
UN MEMBRE. – Je demande que la Commune décide qu’on laisse les municipalités faire ce qu’elles croient convenable.
L’assemblée adopte cette proposition et décide que l’invitation, dont il vient d’être donné lecture, sera renvoyée aux municipalités.

Les actes de décès de ces deux citoyens, établis dans le premier arrondissement (qui est celui de la place Vendôme) ne comportent pas leurs adresses. Mais celui d’Émile Boudée indique, au lieu de sa profession, qu’il est chevalier de la légion d’honneur (ce qui m’a permis de trouver les renseignements sur sa carrière militaire exposés ci-dessus).

Je ne sais pas quels membres de la Commune les y ont accompagnés, mais c’est dans la tranchées des victimes du cimetière du Père Lachaise qu’ils ont été inhumés le 13 mai 1871.

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La photographie montre l’état de la porte des Ternes quand ces deux hommes (ainsi que beaucoup d’autres) ont été tués. Elle se trouve, sans nom d’auteur, au musée Carnavalet.

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J’ai utilisé, donc, l’état civil aux archives de Paris et les archives de la légion d’honneur (LEONOR) aux archives nationales (en ligne dans les deux cas). Et, toujours, les procès verbaux, là:

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).