Suite de l’épisode précédent. Les dates sont celles de la parution du texte dans L’Ami du Peuple. Tout ce qui est en bleu m’est dû.
Jusqu’au 10 mai, Issy s’était maintenu, mais le couvent des Oiseaux et le grand séminaire étaient abandonnés. Dans la nuit du 10, Brunel, qui commandait en chef, fut demandé à la Commune.
Il avait sous ses ordres quelques bataillons de la 10e légion et les sous-chefs de légion Daviot et Lohay nouvellement promus.
Pendant que le commandant en chef était appelé au gouvernement, Issy fut attaqué. Les bataillons tinrent fort peu et abandonnèrent complètement le village.
On a beaucoup blâmé Brunel de son absence, mais cependant il avait reçu des ordres pour se rendre à la Commune, il fallait bien qu’il obéît. On a accusé Daviot d’avoir manqué d’énergie et d’avoir le premier ordonné la rentrée de la colonne dans Paris.
Plusieurs de mes amis et moi soupçonnions que cette retraite avait été exécutée sous l’influence de certaines personnes que Daviot avait dû engager, et que la difficulté n’était que la présence du commandant à Issy. (J’ai toujours soupçonné ce sous-chef de légion [qui était à l’époque commandant du 203e bataillon].) De là l’ordre envoyé à Brunel de se rendre à la Commune. Brunel accusé ensuite de l’abandon du village d’Issy, s’en défendit, rejeta la faute sur Daviot, et demanda une cellule à Mazas et des juges.
Après ce nouvel échec, le général La Cécilia me confia le commandement des remparts, depuis la porte de Vanves jusqu’à celle d’Auteuil.
Il vint examiner nos remparts et nous remarquâmes la minime quantité des pièces qui les garnissaient. On s’occupa immédiatement d’en faire venir, et tous les corps francs de la division vinrent prendre cantonnement à Vaugirard.
19 février 1885
La Cécilia retourna à Malakoff. Le membre de la Commune Johannard lui avait été adjoint comme commissaire extraordinaire.
Du 12 au 21 mai, jour de l’entrée des versaillais, la défense des remparts de Vanves à Auteuil a été une œuvre presque impossible. [Le musée Carnavalet conserve une lettre datée du 14 mai, adressée par Napoléon La Cécilia au délégué à la guerre (Charles Delescluze, à cette date) que j’utilise en couverture de cet article. À 3h30 du matin, La Cécilia signalait que Maxime Lisbonne était allé se reposer deux heures dans une ambulance rue de Vaugirard et qu’il l’enverrait au délégué dès que possible. Rude période !]
Trois bataillons de gardes nationaux ont rivalisé d’ardeur et de courage avec les francs-tireurs.
Le commandant d’un de ces bataillons, resté seulement avec quelques hommes, faisait le service de commandant d’artillerie à la Porte de Vaugirard.
L’artillerie fédérée ne voulant plus y rester si je demandais du renfort au comité d’artillerie ou à l’École militaire, ceux qui y étaient désignés éprouvaient d’abord les plus grandes difficultés pour arriver aux remparts. Ensuite, voyant tomber leurs camarades comme des mouches, le sang froid leur manquait, et ils s’enfuyaient.
Sur la recommandation du général La Cécilia, j’avais confié le commandement de l’artillerie au citoyen Roger de Beauvoir. Le lendemain, j’étais obligé de le faire arrêter.
Il fallait cependant avoir de l’artillerie pour répondre aux batteries de Montretout, du Mont-Valérien, de Meudon, de la Lanterne de Diogène et je fis appel aux volontaires.
Des francs-tireurs furent encore, cette fois, improvisés artilleurs. Certes, ils étaient loin de valoir des hommes du métier. Mais la ténacité avec laquelle ils répondaient au feu des batteries versaillaises a prouvé que le dévouement à la révolution avait conservé chez eux toute sa force.
J’obtins 25 marins, sous le commandement du lieutenant Cabaret; une douzaine restèrent à la Porte de Vaugirard, les autres partirent avec leur lieutenant à la Porte d’Auteuil. Cabaret avait été investi du commandement. Je lui avais donné, en coutre, une compagnie d’éclaireurs de Montrouge.
La nuit, des détachements de corps francs réparaient les embrasures et il était impossible de faire ces réparations dans la journée.
Le 137e bataillon de la garde nationale tenait le poste de la Porte de Vaugirard.
À la gare du chemin de fer, le commandant Prudhomme avec mon capitaine Puech, tous deux de mon état-major, étaient chargés de la direction et de la surveillance des remparts.
Au séminaire de Vaugirard et en communication avec la gare, deux bataillons étaient cantonnés.
Petite place Saint-Pierre [Je n’ai pas identifié précisément cette place du XVe arrondissement], une forte barricade avait été construite et elle était en communication directe avec celle de la rue Lecourbe.
Un peu plus bas, dans une grande propriété où était établie une ambulance, était fixé le quartier général.
La presse réactionnaire a toujours essayé de faire croire qu’aux états-majors de la Commune, on s’occupait fort peu de son métier, que les orgies étaient en première ligne dans le programme de la défense.
Messieurs, il fallait y venir, et vous auriez vu une niche de concierge très étroite (à peine un lit y aurait-il place), une table et un paillasson sur lequel couchait mon turco.
Voilà pour les appartements somptueux que vous avez dépeints.
Quant aux orgies, place Saint-Pierre, dans la maison d’un pharmacien qui avait été maire de Vaugirard, était établi un mess pour les officiers. Le citoyen lieutenant Cartier que j’ai revu depuis à la presqu’île Ducos, l’officier qui en était chargé faisait toucher nos rations comme les simples soldats, et nous ajoutions 2 francs par jour pour compléter notre nourriture.
Il y a loin de là aux fables que vous avez inventées pour les besoins de votre cause.
(À suivre)