Suite d’un article précédent. La sale guerre versaillaise entre dans Paris. Comme toujours, les dates sont celles de la publication des souvenirs dans L’Ami du Peuple et ce qui est en bleu m’est dû.

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Le dimanche 21 mai, vers midi, je descendis au ministère de la Guerre, j’allais y chercher les fonds nécessaires pour solder les francs-tireurs du service qu’ils faisaient en dehors de leur service.

22 février 1884

J’avais été autorisé à faire exécuter tous les travaux nécessaires à la défense par les compagnies qui descendaient de garde; on leur allouait pour cela un supplément de solde.
Après avoir laissé le commandement au commandant Planhard, j’arrivai au ministère.

Habituellement, aucun mandat ne pouvait être touché qu’approuvé par la signature de deux membres de la Commune.
Gérenne [Géresme, je suppose], qui était au ministère, m’avait donné la sienne ainsi qu’un autre membre, et lorsque je montai trouver le citoyen Delescluze pour approuver ce mandat, un officier arrivait le prévenir que l’armée versaillaise avait pénétré dans Paris par la porte de la Muette. [C’est beaucoup plus au sud, par la porte de Saint-Cloud, que la guerre versaillaise est entrée dans Paris. La relecture attentive du procès verbal de la réunion de la Commune de ce jour montre qu’en effet, le délégué à la guerre n’y assistait pas. Il a donc été averti indépendamment de l’assemblée communale.].

Je ne pris pas le temps de toucher les fonds que j’étais venu chercher, je chargeais le fils Carlo de cette mission, et m’en retournai à mon poste.

À mon arrivée, la générale fut battue. Toute la division fut sur pied et à son poste de combat. Pendant mon absence, la Porte d’Auteuil et l’aqueduc avaient été battus fortement en brèche.
Le lieutenant Cabaret m’avait envoyé des estafettes pour m’informer de sa situation déplorable, Planhard n’en avait pas eu connaissance. Plusieurs de ces estafettes avaient été tuées, lorsque Cabaret se décida à venir lui-même me demander des secours. Il fut mortellement [le manuscrit disait « grièvement », il est possible que Maxime Lisbonne n’ait appris qu’à son retour à Paris la mort de ce lieutenant.] blessé.

J’ai appris plus tard que Francfort (1) avait reçu ces dépêches et qu’il se les était appropriées, c’est ce qui explique pourquoi Planhard n’avait pas été informé de ce qui se passait porte d’Auteuil.
Je réparai de mon mieux cet échec, en organisant pour la nuit une défense capable de résister à un envahissement par Grenelle et la rue Lecourbe.

La journée se passa sans accident. J’attendais du renfort que j’avais demandé au général La Cécilia. Je ne pouvais compter sur la légion de Vaugirard. Le chef de légion, Demarest était non seulement impuissant à se faire obéir, mais incapable de se rendre utile [incapable de commander, disait seulement le manuscrit.].

Vers huit heures, arrivèrent quatre bataillons réactionnaires, ils étaient composés de 40 hommes chacun. Le commandant de cette colonne était un médecin. Je fis prendre possession du poste de la mairie de Vaugirard à ces gardes nationaux, ne voulant pas les mettre en première ligne avant de m’être assuré de qui me venait ce renfort ridicule et si disparate.

À 11 heures, un bataillon du 5e arrondissement arriva. J’étais exténué de fatigue et je m’étais jeté sur mon lit tout habillé. On vint me prévenir. Un adjudant se trouvant là, je lui ordonnai de conduire ce bataillon au poste de la rue de Vaugirard renforcer le 137e [du dixième].
Au bout d’un quart d’heure, le commandant revint fort en colère, car ils avaient été reçus à la route du chemin de fer par une vive fusillade. Je lui donnai un campement momentané et sortis me rendre compte de ce qui venait d’avoir lieu.
Je vis Prud’homme et Puech à la gare en passant par le séminaire; ils avaient eu connaissance du fait. Les versaillais avaient-ils donc traversé la Seine par l’aqueduc d’Auteuil, ou la porte était-elle en leur pouvoir?

La ronde que je fis aux avant-postes me permit d’avoir confiance jusqu’au lendemain.

(1) Je soupçonnais déjà sous la Commune le lieutenant Francfort. Il avait succédé à Saint-Hilaire dans son commandement, lequel avait été obligé de donner sa démission. Mes soupçons ont été confirmés quand j’ai vu le misérable, qui avait servi en Afrique avec moi, venir servir de témoin à charge dans mon procès.

(À suivre)

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J’ai déjà utilisé l’image de couverture… le 21 mai 2021.