Cet article est paru dans La Révolution politique et sociale, hebdomadaire des sections — de la gare d’Ivry et de Bercy réunies — de l’Association internationale des travailleurs, le 9 avril 1871. Il a été reproduit (presque entièrement) par Jacques Rougerie dans Paris libre 1871, à la fin de son chapitre « À travers la ville insurgée », en illustration de sa position, à lui, Jacques Rougerie, dans la question (d’époque), la Commune, crépuscule ou aurore? Il qualifie l’auteur d’ « obscur international » — il est d’autant plus obscur que Rougerie ne dit pas son nom. Comme ce journal n’est pas sur Gallica, je ne résiste pas au plaisir de citer ce bel article, paru le 9 avril (et pas le 15, comme le dit Rougerie). Outre le livre de Rougerie, j’ai utilisé le journal sur Retronews, mais il est presque illisible, comme l’image de couverture le laisse pressentir.

L’aube

Le vieux monde s’écroule. La nuit qui recouvrait la terre déchire son linceul. L’aube apparaît.
Salut, Liberté! Salut, Révolution bénie!
Le prolétaire, esclave du monde antique, serf d’avant 89 — trois mots différents, trois termes équivalents –, le prolétaire redresse son corps brisé par le travail.
Martyr du salariat, cesse de souffrir, tu vas vaincre.
Tu vas vaincre, si tu le veux, et ton triomphe, arrosé de ton sang, sera celui de tes frères du monde entier, qui te regardent.
Ô travailleur sublime, bête de somme hier, héros aujourd’hui, tu comprends donc enfin que tu es le nombre, c’est-à-dire la force, le droit, la justice. Tu t’aperçois donc enfin que ton émancipation ne peut être que ton œuvre [nous sommes dans un journal de l’Internationale, voici donc le début de ses statuts]; qu’en un mot ton sauveur c’est toi, ton Christ, c’est toi!
Aveugle, tu ne nies plus la lumière. Tu vois, tu comprends! Tout est sauvé!
[illisible] s’élève à l’horizon, la Liberté apparaît resplendissante, il fait [jour?].
Ô prolétaires, ô meurt-de-faim de l’univers entier, vous le croyiez mort et bien mort, ce vieux peuple de Paris qui donnait jadis au monde le signal du réveil.
Il avait tant souffert, sans se plaindre, il avait supporté tant de chaînes, son sang avait tant de fois coulé sans résultat, que détournant les yeux de l’immortel berceau de votre propre indépendance, vous aviez, étouffant un soupir, nié ce coin de terre sauveur.
Eh bien, vous vous trompiez! Ce peuple vivait, souffrait, attendait. Le jour est venu, l’heure du combat a sonné; il est là, debout, innombrable et vous crie: « Me voilà! »
Ô vieux monde, ramassis d’imposteurs, oisifs corrompus, parasites insolents, vous tous qui vivez du travail des autres, comprenez-vous enfin que votre règne est fini, et qu’aujourd’hui, avec le triomphe du peuple, l’ère du travail va commencer.
Comprenez-vous enfin que l’on ne peut plus longtemps pressurer la matière humaine pour lui faire rendre de l’or, sans qu’un jour vienne où cette chair saignante ne résiste?
Ce jour est venu! Niez-le donc maintenant.
Et nous, les partageux, las enfin de travailler devant votre oisiveté, nous allons partager avec vous non point votre or inutile — éternelle calomnie –, mais notre travail indispensable.
Frères du monde entier, notre sang coule pour votre liberté; notre triomphe est le vôtre: debout tous!
Voici l’aube!

Jules Nostag

Livre cité

Rougerie (Jacques)Paris libre 1871, Seuil (1971).