Suite de l’article précédent.
La lecture des comptes rendus de presse du procès dans lequel Marie Wolff est jugée est édifiante. Elle est jugée pour un assassinat d’otages, auquel il n’est pas sûr qu’elle ait participé.
La date des faits, 27 mai, à l’extrême fin de la Semaine sanglante, le lieu, de la prison de la Roquette à la place Voltaire, alors que l’armée versaillaise était déjà, pratiquement, là, tout ceci indique l’état dans lequel devaient se trouver ceux qui ont participé à ces assassinats.
L’acte d’accusation — treize accusés dont deux femmes, elle et Marie Cailleux, qui a ensuite épousé Henri Place (Verlet) en Nouvelle-Calédonie — décrit Marie Wolff comme une « furie ». Un journaliste qui assiste au procès, lui, en dit :
C’est une jeune femme blonde qui ne porte sur sa physionomie aucun signe de férocité. Le timbre de sa voix est très doux.
(La République française, 21 avril 1872, p.4.) Le journaliste de L’Univers est moins sensible. Elle nie tout, dit-il, et :
Les témoins du boulevard Voltaire, qui signalent la présence d’une ambulancière au corridor du n° 130, ne peuvent dire que ce soit ou que ce ne soit pas elle. Les jeunes détenus qui l’ont aperçue un instant et dans un état d’irritation qu’elle, n’a plus aujourd’hui, et la reconnaissent pas. Selon tous, l’ambulancière en question serait une femme plus svelte que la femme Guyard.
On ne l’a pas reconnue, mais, complète ce journaliste :
Il nous semble donc que si la femme Guyard n’a pas été reconnus par eux, il n’y a pas de conséquence décisive à en tirer.
(L’Univers, 23 avril 1872.) Il y a évidemment aussi des témoins pour la dénoncer. Ouf. Pourtant, au Rappel, le journaliste est très optimiste:
La femme Guyard, née Wolf, accusée d’avoir pris part à l’exécution, n’a été reconnue par aucun des témoins. Ses coaccusés — à l’exception de la fille Cailleux, — ne la reconnaissent pas non plus, et il semble difficile qu’elle ne soit pas acquittée.
(Le Rappel, 25 avril 1872.) Que non point ! Marie Wolff a bel et bien été condamnée à mort, le 24 avril 1872. Le jugement a été confirmé le 27 mai. Comme cela a été le cas pour toutes les femmes condamnées à mort, sa peine a été commuée, en « travaux forcés à perpétuité » (pour elle le 30 juillet 1872) et elle a été envoyée au bagne à Cayenne.
Même si j’ai commencé par parler de son mariage, il n’a pas été question de son mari. Sauf que, au cours du procès, une témouine a dit que celui-ci avait une jambe de bois. Et que, nous dit un « Maître Guérin » qui signe dans L’Univers illustré (du 4 mai 1872), son mari
a déjà été condamné à deux ans de prison pour participation aux faits insurrectionnels que nous devons déplorer et maudire éternellement.
Jean Rose Guiard (enregistré comme « Guyard ») semble avoir donné sa vraie date de naissance (28 avril 1845) et son vrai lieu de naissance (Gentilly) quand il a été arrêté, le 1er juin 1871. Il a été condamné le 9 avril 1872 à deux ans de prison, en effet, et il a « sollicité » une diminution de peine. Le rapport fait à la commission des grâces le 26 décembre 1872 dit :
Guyard, dit Jambe-de-Bois, n’a pu servir ni pendant le siège ni sous la Commune comme soldat. Mais pendant l’insurrection il s’est employé avec ardeur, en compagnie de son frère et de sa femme, à construire des barricades. Il résulte notamment des témoignages qu’il a concouru avec eux à la construction de la barricade élevée dans la rue Harvey au coin de la rue du Château-des-Rentiers, et qu’il a été payé de son travail par les délégués de la Commune à la mairie des Gobelins. Les renseignements recueillis sur son compte sont déplorables, mais il paraît que son frère (Clément) était, encore plus que lui, la terreur du quartier.
Le suppliant a déjà subi deux condamnations (1866) à six mois d’emprisonnement chacune pour vol. Il a été arrêté à son domicile le 1er juin 1871.
Les autorités militaires ne croient pas devoir proposer une mesure de clémence.
Il est transféré à la prison d’Embrun (dans les Hautes-Alpes, entre Gap et Briançon). Et on n’en entend plus parler.
Je vais consacrer les prochains articles, non seulement à Marie Wolff, mais aux huit femmes qui ont été condamnées aux travaux forcés à perpétuité dont sept ont été envoyées en Guyane.
À suivre, donc
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La photographie de la rue Harvey, dans le treizième arrondissement, où vivaient Marie Wolff et Jean Rose Guiard, a été prise un peu plus tard, en 1898. Elle est au musée Carnavalet.
Sources
J’ai utilisé, outre la presse, les dossiers de grâce aux Archives nationales de Marie Wolff (BB 24/759) et de son mari (BB 24/779).