On a peu parlé des sept communardes bagnardes envoyées dépérir en Guyane et dont il a été question dans les articles précédents, et d’ailleurs on n’en parle toujours pas…
Mais, à l’époque, elles n’étaient pas complètement oubliées. Au moins l’une d’entre elles. En effet, sa sœur s’inquiétait de Marguerite Guinder (notre Marguerite Lachaise). Elle habitait à Salins, dans le Jura (où elle et Marguerite était nées), elle était illettrée, certes, mais elle a écrit (fait écrire), au moins deux fois, au ministre de la justice.
Voici une de ces lettres, après la « grâce amnistiante » de 1879, le 26 avril 1880. On va voir qu’elle ne savait même pas où (dans quel continent) se trouvait sa sœur.
Monsieur le ministre
Je me permets de vous adresser cette lettre pour vous demander votre indulgence pour ma sœur Marguerite Guinder femme Prévost déportée à Nouméa au couvent des Maronites [pour Saint-Laurent du Maroni]. J’attendais toujours voyant beaucoup de déportés revenir en France [en effet, les premiers graciés, même d’aussi loin que la Nouvelle-Calédonie, avaient commencé à rentrer…] j’espérais toujours que ma pauvre sœur serait du nombre et n’ayant aucune nouvelle je me permets monsieur le ministre de vous adresser en grâce en vous priant si cela est possible de me dire si je puis espérer de la revoir je crois qu’elle a dû expier ses fautes depuis neuf années.
Elle signe « Marie Guinder, veuve Landait ». En « réponse », le dossier en grâce de Marguerite contient une lettre en date du 3 mai 1880, envoyée par la Sûreté générale à un ministre (sans doute le garde des sceaux) :
J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint comme rentrant dans vos attributions une lettre de la dame veuve Landait, née Maria Guinder, demeurant à Salins-les-Bains (Jura) qui exprime le désir de savoir si sa sœur Marguerite Guinder, femme Prévost, déportée à la Nouvelle-Calédonie, sera prochainement graciée.
De la lettre de Maria Landait, ce monsieur n’a pas pu comprendre qu’il ne s’agissait ni de déportation ni de Nouvelle-Calédonie. La personne qui a ajouté la mention marginale au crayon « Fait graves. Attendre », elle, avait dû se renseigner.
Il est bien possible que l’on n’ait pas répondu à la lettre de la sœur de Marguerite. Ou peut-être si, puisqu’il semble qu’elle ait fini par apprendre où exactement était Marguerite. En effet, l’amnistie votée, Marie Landait a écrit (fait écrire) de façon un peu plus précise, une nouvelle lettre, dès le 22 septembre 1880, au ministre de la justice.
Monsieur le Ministre
À la suite des événements de la Commune en 1871, ma sœur Marguerite Guindaire [le scripteur ne connaissait pas l’orthographe de ce nom], femme Prévost, fut condamnée à la peine de mort par un des Conseils de guerre de Paris ; cette peine fut commuée et, depuis cette époque, ma sœur est détenue dans un pénitencier à St-Louis [pour Saint-Laurent] du Maroni (Guyane). Je ne suis pas bien fixée sur la nature du crime qui a motivé la condamnation de ma sœur, mais j’avais toujours espéré qu’elle bénéficierait de l’amnistie, ce qui n’a pas encore eu lieu. Je viens donc vous prier, Monsieur le Ministre, de vouloir bien me faire savoir si le décret d’amnistie ne lui est pas applicable et si je dois perdre tout espoir de la voir sortir légalement de se triste position ; car s’il devait en être ainsi, je profiterais du séjour de Monsieur le Président de la République à Mont-sous-Vaudrey pour avoir recours à sa haute clémence, afin d’obtenir, tout au moins, pour ma sœur, quelque adoucissement à son triste sort.
Osant espérer de votre bienveillante sollicitude une réponse aussi prompte que possible je vous prie Monsieur le ministre d’agréer avec mes vifs remerciements anticipés l’expression du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre très humble et obéissante servante.
Et elle a signé « Maria Guinder veuve Landait ».
En marge de la lettre, quelqu’un a écrit « répondre positivement » le 18 octobre.
N’empêche, Marguerite a attendu juillet 1881 (un an après l’amnistie!) pour pouvoir enfin rentrer en France.
Ce sera l’objet du prochain article.
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La photographie de couverture est une vue de Saint-Laurent du Maroni, photo de Lucien Fournereau en 1885, je l’ai trouvée sur Gallica.
Sources
Le dossier en demande de grâce de Marguerite Guinder (Lachaise) aux Archives nationales (BB/24/759).