Dans l’épisode précédent, nous étions arrivés à un article de journal qui annonçait que la famille du banquier Jecker avait retrouvé, deux mois après son exécution, le corps dudit banquier. Voici la suite de l’histoire.

Le banquier, suite.

Comment la famille dont parle ce journaliste l’a-t-elle retrouvé ?

D’abord, il semble qu’il n’avait pas de famille. En tout cas, il était célibataire.

Pour ce qui est public, eh bien, nous avons un acte de décès, établi dans le quatrième arrondissement (la morgue était alors 2 quai de l’Archevêché), établi le 25 juillet, qui ne fait mention d’aucune famille et qui date le décès du… 10 mai — jour de l’arrestation de Jecker.

Et nous avons une ligne sur son inhumation le 26 juillet dans le registre — apaisé — du Père Lachaise.

La police s’active.

Mais que s’est-il donc passé, de l’exécution le 26 mai à l’inhumation le 26 juillet ?

Rien de public. Et d’ailleurs pas grand chose au début, puis une grande activité policière dans les deux dernières semaines.

En juillet, un employé du service des passeports, jugé pour usurpation de fonction a parlé de Jecker et de son arrestation. Le 13 juillet, le juge d’instruction Loverdo demande des exhumations « dans l’affaire de l’assassinat de Jecker et d’autres ». Je n’ai pas vu cette ordonnance et je ne sais pas comment M. de Loverdo a su où faire rechercher le cadavre de Jecker. En tout cas, le 23 juillet, le commissaire du quartier Notre-Dame (dont dépend la morgue), Gustave Lechartier, fait recevoir un cadavre — présumé être celui de Jecker — à la Morgue.

Les bretelles du banquier.

La décomposition est assez avancée, mais il y a une liste des vêtements portés, incluant un caleçon, des chaussettes en laine, trois chemises de flanelle, une chemise, un gilet, un pantalon, des bretelles, des bottines et une redingote… cela semble beaucoup, même si nous savons qu’au peti matin du 26 mai il tombait une pluie glacée.

En tout cas, il portait tout ça et son linge était marqué, de sorte qu’un employé nommé Bornègue le reconnaît le 25 juillet, on rend le corps, il y a peut-être quand même quelqu’un de la famille, je lis une signature « Elsesser Jecker » sur un des documents, bref on enterre Jecker.

Et cette fois, n’en parlons plus.
Vraiment.

Les deux inconnus.

Sauf que le jour même de son enterrement au Père-Lachaise, toujours « dans l’affaire de l’assassinat de Jecker et d’autres », on exhume deux nouveaux corps au cimetière de Charonne, et le commissaire Lechartier les fait recevoir à la morgue.

Je ne sais pas qui sont les « autres » que cherche M. de Loverdo, mais il est clair qu’il cherche encore.

Et le conservateur du cimetière de Charonne, qui, si je lis bien, s’appelle M. Dupré, envoie au commissaire Lechartier deux corps d’inconnus d’environ 25 ans, il les fait même mettre dans des cercueils, c’est dire qu’ils n’en avaient pas ­— comme dans Le Tombeau des fusillés, « les morts enterrés sans cercueil ».

Ces deux-là restent inconnus et, en effet, ils ont dû décevoir les policiers et le juge d’instruction, l’un porte un pantalon à bandes rouges, bref c’est un garde national, l’autre est un marin. Probablement des fédérés tués pendant la Semaine sanglante. Ils sont envoyés au cimetière des hôpitaux.

Et on n’en parle plus.
Vraiment?

Sauf que… Eh bien, vous lirez le « Sauf que » dans l’épisode suivant.

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Les documents reproduits viennent des Archives de Paris.

Merci à Maxime Jourdan pour l’orthographe du nom de M. de Loverdo.