Comme annoncé dans l’article précédent, les mic-macs du conservateur du cimetière de Charonne et de la police — autour de l’exécution du banquier Jecker — nous permettent d’identifier sept victimes — des inconnus, des disparus.
Des « recherches » de la police en 1871 à celles des chercheurs « aujourd’hui »… Je trouve quelque intérêt à ces informations sur sept des (dizaines de) milliers de disparus.
Je les corrige et les complète parce que j’ai accès à des ressources — en ligne — dont ne disposait pas Gustave Lechartier et aussi parce que j’ai certainement davantage de sollicitude que lui.

Les voici.

Denis Jean Marie Turbel.

Né en 1833 à Saint-Germain-en-Caux (Ille-et-Vilaine), dit le commissaire, et bien sûr il n’y a pas de « Caux » en Ille-et-Vilaine il s’agit de Saint-Germain-en-Coglès, près de Fougères, et les prénoms donnés à l’enfant à la naissance, par son père Pierre Turbel, cultivateur, étaient Jean Denis. Il était frappeur (forgeron, je suppose), garde national au 165e, qui est un bataillon du 15e arrondissement, ce qui est cohérent avec les adresses notées par le commissaire, 11 rue de l’Église (11 octobre 1870), mais aussi à d’autres dates non précisées 24 rue Letellier et 39 rue Mademoiselle. Il était au fort d’Ivry le 20 mai.

Le commissaire a utilisé le livret de garde national, des cartes d’électeur et d’alimentation, un ordre de service et des lettres particulières. Il a conservé sept de ces pièces, sous scellés (et je ne sais pas ce que la préfecture de police a fait de ces scellés).

Comme j’ai utilisé l’état civil, je peux ajouter que 39 rue Mademoiselle était l’adresse d’un jeune frère de Denis Turbel, Ange Marie, né en 1844, qui était forgeron (ce qui confirme mon interprétation de « frappeur ») lorsqu’il est allé déclarer la naissance de deux de ses enfants en novembre 1869 et octobre 1870. Je ne sais pas quelle était la correspondance particulière de Denis Turbel, mais je sais que son frère ne savait pas signer son nom (mais leur père, si, mais peut-être ne savait-il pas beaucoup plus).

Joseph Mautret.

Né en 1843 à Ahun (Creuse). Le nom à l’état civil est orthographié Mautrait et Joseph Mautret est né le 28 septembre 1842. Le commissaire a vu le livret d’ouvrier de Joseph Mautrait et sa carte d’électeur, je ne sais pas d’où viennent les erreurs de nom et de date. Joseph Mautrait, nous dit-il, est maçon. Et nous entrons là dans une famille de maçons creusois. Ils viennent passer l’hiver chez eux, travaillent à Paris le reste de l’année. C’est extrêmement visible dans les registres d’état civil où les naissances ont lieu à l’automne. C’est le grand-père qui va déclarer la naissance, en l’absence du père, maçon. Le grand-père, comme les témoins qui l’accompagnent et sont aussi des hommes âgés, ne sait pas signer. C’est sans doute du livret d’ouvrier que le commissaire a appris que Joseph Mautrait était « parti de son pays natal en mars 1866 ». Joseph Mautrait était garde national, à la deuxième compagnie mais le commissaire ne sait pas de quel bataillon. Il habitait 5 rue Jessaint, à La Chapelle. Je suppose donc qu’il était dans le 152e bataillon (celui où était Albert Theisz, qui habitait cette rue). Parmi les documents que le commissaire a mis sous scellés, une reconnaissance du Mont-de-piété : Joseph Mautrait avait engagé une montre en argent, le 27 septembre 1870, pour 8 francs. Il y avait certes peu de travail pour les maçons en ce début du siège. Je n’ai pas vu de trace d’une famille dans les tables décennales du dix-huitième arrondissement, en tout cas personne n’a pu récupérer la montre, qui a dû être vendue.

Joseph Paul Benjamin Camax.

Né le 26 août 1834 à Chaville. Cette fois les renseignements d’état civil sont corrects. Je peux tout juste ajouter que son père était maître-blanchisseur. Lui-même était porteur aux Halles, habitait 128 rue Saint-Martin, était garde dans la première compagnie du 95e bataillon, avec le numéro matricule 1029, était au fort de Vanves le 27 avril. Quatrième arrondissement, donc. J’ai consulté les tables décennales de l’état civil dans cet arrondissement, mais n’ai rien trouvé qui m’en apprenne davantage. Le commissaire a lu son carnet de garde national, sa carte d’électeur et une note au crayon, grâce sans doute à laquelle il a appris que le corps avait été trouvé à l’ambulance de la Roquette le 26 mai. Il a mis sous scellés neuf pièces trouvées dans ses papiers dont nous ne saurons rien.

Les quatre derniers inconnus feront l’objet du dernier article de cette série.

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Le document utilisé comme couverture est conservé aux Archives de la Préfecture de police dans le dossier B a/365-3.