J’ai longtemps hésité à écrire sur celui qu’Henri Rochefort, journaliste caustique, appelait « Racine de buis ».

Parmi les membres de la Commune, il y avait toute sorte de gens. Par exemple, toute une bande d’allumés, pas tous antipathiques, et même certains sympathiques, comme Jules Babick.
Mais il y avait aussi des gens moins sympathiques.

Pourquoi en parler? Par exemple parce que c’est une occasion de montrer comment on parlait de ses ennemis politiques dans la presse en cet « heureux » temps d’avant le « politiquement correct ».

Pierre Vésinier était petit (1,50 m), un peu bossu, disons contrefait. Le pauvre homme !
Mais il était normal à l’époque de se moquer du physique de ses ennemis. Des exemples?

Le ventre de Picard l’a fait appeler « Gros Ernest ».

Thiers, qui était petit et porte pour toujours le surnom de « Foutriquet », était fréquemment qualifié, non seulement de « Tom Pouce parlementaire à qui échoit le rôle d’un Tamerlan », de « vieille taupe à lunettes », « vautour à tête de perroquet », mais aussi de « bas du cul », de « gnome monstrueux », et même d' »avorton » — Mischievous avorton, a écrit Marx. Essayez avec un président de la République du vingt et unième siècle. Dites seulement qu’il porte des talonnettes, pour voir!

Vésinier a eu droit à sa part aussi.

L’être biscornu qu’on appelle Vésinier et dont l’aspect comme le style donne plus envie de vomir que de discuter,

a écrit délicatement Rochefort dans Les Aventures de ma vie, et encore

Vésinier, qui n’a jamais été grand chose nulle part

ou même

l’idée de soutenir une polémique avec cette racine de buis

… n’insistons pas. Le nom de « racine de buis » lui est resté.

Une autre raison d’en parler, c’est qu’il traîne à son sujet ce que l’on appelle aujourd’hui une « fake-news ». Que chacun répète et répète, et que j’entends corriger, pas seulement en la niant, mais en l’expliquant… Elle paraît dans Le Gaulois le 2 juin 1872. La voici :

Le mariage du citoyen Vésinier vient de se faire à Londres au milieu d’un concours de célébrités communardes, que c’était comme un bouquet de fleurs.
Le citoyen Ranvier, père de la mariée, s’est montré à ses invités revêtu de son écharpe de membre de la Commune, et de celle non moins éclatante de membre du Comité central. C’est dans cet accoutrement, de grand pontife pétrolisateur qu’il a présidé le banquet. Parmi les invités, les citoyens Lissagaray et Andrieu, témoins du marié les citoyens Asperge et Devaux, témoins de la mariée Assistaient à la petite fête: Vermersch, Dupont, Landek, Carle Marx, Lemoussu, May, Jaud, l’ancien secrétaire de Raoul Rigault.
Rien n’égale le nombre des discours qui ont été prononcés, si ce n’est cependant la quantité de bouteilles qui ont été vidées. La noble compagnie était, dans un tel état d’ivresse, en sortant de la Taverne de Cambridge-Terrace, que la police s’est emparée de la plupart des convives pour les conduire en lieu sûr.

Un des buts de cette série d’articles est d’en dire assez sur Vésinier pour que vous soyez convaincues comme moi que ce que dit cet article est impossible, puis d’essayer de comprendre quelle (vraie) nouvelle peut être à sa source.

(À suivre, donc)

*

La caricature vient du musée Carnavalet. Elle n’est pas signée et représente Vésinier, rédacteur en chef du Grand’Off (Vésinier, on le verra dans les articles suivants, a été brièvement délégué au Journal officiel pendant la Commune).

Livre cité

Rochefort (Henri)Les Aventures de ma vie, Dupont (1896).