Jules Michot a été le tout premier ténor à chanter l’air aujourd’hui célèbre de Roméo, « Ah! lève-toi soleil!« . C’était en 1867 au théâtre lyrique, à la création de Roméo et Juliette de Gounod.
Le voici en septembre 1870, revenant, semble-t-il, des États-Unis, engagé dans le septième bataillon de la Garde nationale et dans une compagnie comprenant de nombreux artistes — et même des actrices:
Mlle Massin et Mlle Magnier, artistes du Gymnase, se sont engagées cantinières dans la 1e compagnie du 7e bataillon de la garde nationale. Il est vrai que ce bataillon est tout artistique, car on y compte MM. Couderc. Léon Duprez. Berthelier, Victor Caron, Bosquin, Michot, Belval fils, Melchi[s]sédec, Caron et Onfroy.
— lit-on dans Le Petit journal le 29 septembre. Le baryton Léon Melchissédec, déjà nommé dans l’article précédent, écrit, trois mois plus tard (c’est dans La Liberté du 26 décembre):
Paris, 23 décembre
Monsieur Jennius,
Je lis seulement aujourd’hui, dans votre feuille d’avant-hier, quelques lignes concernant les artistes chanteurs restés à Paris. [Une liste de chanteurs et compositeurs « restés à Paris » était parue dans le journal du 20 décembre.]
Dans cette énumération qui, permettez-moi de vous le dire respectueusement, est loin d’être complète, vous ne citez que quelques artistes de l’Opéra.
Quoiqu’on voie souvent le nom de plusieurs de mes camarades sur les affiches des nombreux concerts qu’on donne pour venir en aide aux infortunes causées par les malheureux événements survenus ces temps-ci, permettez-moi de vous citer quelques noms omis par vous. (Quelques artistes ne sont plus à Paris, mais y ont occupé dignement leur place et ont laissé d’excellents souvenirs):
MM. Michot, Morère, Roussel, Devovod, Ponsard (Opéra); Couderc, Léon Achard, Potel, Melchissédec, (Opéra-Comique).
Beaucoup d’artistes de réputation de province ont tenu à rester A Paris.
Avec mes remerciements anticipés, veuillez recevoir l’assurance de ma respectueuse sympathie et de mes sentiments distingués.
Melchissédec
Caporal-fourrier, 7e bataillon, 1e compagnie
Et voici Le Siècle du 19 février 1871, dans un article sur « La musique pendant le siège »:
Michot, le ténor de l’Opéra, a vu le feu de l’ennemi d’un œil aussi assuré qu’il voit le feu de la rampe. Après les couronnes de fleurs des dilettanti américains (Miehot arrive des États-Unis), les éclats d’obus de messieurs les Prussiens. On n’est pas mieux partagé.
Apparemment, Jules Michot est resté dans son bataillon pendant la Commune, peut-être même l’a-t-il défendue! Et son nom était à l’affiche du fameux concert lyrique qui n’a pas eu lieu le 22 mai. De sorte que La Liberté du 15 juin s’inquiète (??):
On prétend que le ténor Michot, gravement compromis dans l’insurrection, aurait été arrêté hier et conduit à Versailles. Nous espérons que ce bruit est dénué de fondement, et que la Nouvelle-Calédonie ne nous enlèvera pas ce charmant ténor.
Le 15 juin 1871, la destination Nouvelle-Calédonie pour les futurs condamnés n’était pourtant pas encore fixée. Et d’ailleurs, c’était une fausse nouvelle. Si fausse que, si l’on en croit un article du Français daté du 26 juillet, Jules Michot a chanté le 23 juillet dans Gallia que Gounod venait de composer, à Versailles dans l’église de Montreuil, au cours d’une cérémonie à laquelle participait même Mme Thiers:
On nous disait que lorsque le maître cherchait au piano sa pensée encore accablée sous les douleurs de la patrie, son visage était baigné de larmes ; qui ne l’aurait cru comme nous en sentant les siennes couler avec tant d’entraînement, et, lorsque la belle voix émue de Michot faisait monter sous la voûte de l’église la lamentation éternellement sublime du prophète, il semblait, à voir l’émotion générale, que chacun disait en soi et avec lui : Jérusalem ! Jérusalem ! convertere ad dominum Deum tuum.
N’empêche, et cette fois c’est vrai, Le Siècle l’annonce le 27 juillet, Jules Michot est arrêté à Chatou où il habite. Pourquoi? Le puant Figaro (du 29 juillet) fait confiance à la police:
Le ténor Michot a été arrêté avant-hier. Le Siècle cherche à répandre le bruit que l’ancien artiste de l’Opéra n’a été arrêté que parce qu’il a chanté, sous la Commune, au concert des Tuileries. Nous aimons à croire que la police n’empoigne pas les gens pour des faits de si peu d’importance. Si M. Michot a été arrêté, c’est probablement que d’autres présomptions s’élèvent contre lui.
Et (re-)conduit à Versailles. Selon la presse, il est accusé « d’avoir organisé des bataillons fédérés », il « se faisait remarquer par l’exaltation de ses opinions », et, nouvelle fausse nouvelle, est libéré début septembre. En réalité, il est à l’Orangerie et…
En septembre, il y donne même un « concert »! Voyez Le Constitutionnel du 25 septembre 1871:
Depuis que le nombre de prisonniers a diminué à l’Orangerie, on se montre moins sévère pour eux et on leur donne un peu plus de liberté. C’est ainsi qu’avant-hier, ils ont pu organiser un concert dont Monsieur Michot, l’ancien, ténor du Théâtre-Lyrique, a fait, en compagnie d’un baryton fédéré, tous les frais. Voici les morceaux chantés par M.Michot: Premier acte de Faust, avec le baryton en question; l’air de Roméo et Juliette « o lève-toi, soleil!« , l’air de la Flûte enchantée: « Jamais en son rêve un poète », et la canzone de Rigoletto : « La donna è mobile ».’ Le ténor a été beaucoup applaudi; mais ces applaudissements n’ont pas eu l’effet qu’en attendaient les auditeurs, car.M. Michot est tombé sur un banc, et, se cachant la tête dans ses mains, a éclaté en sanglots. Probablement le pauvre artiste faisait un triste retour sur lui-même et se souvenait du Théâtre-Lyrique. Tous les prisonniers étaient très émus.
La suite dans le prochain article.
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La photographie représente Pauline Viardot et Jules Michot en 1860 dans Alceste. Je l’ai trouvée sur le site de Paris-Musées.