Suite des neuf articles précédents (le précédent est ici). Alexis Trinquet est donc au bagne, en Nouvelle-Calédonie.
Il semble que la famille d’Alexis Trinquet n’avait reçu aucun secours, même du « comité chargé de distribution de secours aux familles des déportés ».
Sans doute à la suite des nouvelles de sa tentative d’évasion, le 22 septembre 1877, une réunion générale lui vote une aide.
Quant à Trinquet lui-même, là-bas, au bout du monde…
Les représailles — condamnation à trois ans de double chaîne, le 22 décembre 1876, pour évasion et pour vol (il s’agit du bateau dans lequel s’est faite la tentative, qui est donc aussi une tentative de vol…) — suivent cet échec et Alexis Trinquet a fini par se retrouver à l’hôpital (du bagne) avec anémie, pleurésie et emphysème pulmonaire.
Selon toujours, un rapport policier, le 10 mars 1878, quelqu’un a lu, dans un café de la rue Bergère, une lettre de lui remplie de détails sur les mauvais traitements infligés aux déportés de la Commune.
À l’annonce de l’élection de Grévy à la présidence de la République le 30 janvier 1879, Alexis Trinquet lui écrit et lui demande
de changer la peine ignominieuse que je subis en celle de bannissement.
Des grâces sont accordées avec parcimonie. Une « grâce amnistiante » est accordée, qui exclut bien des communards. Dont lui.
À propos de l’ambiance, à Paris, je cite un rapport policier « sur les menées radicales », qui estime, le 27 mars 1879 que Trinquet
semble devoir être un champion plus sérieux que Rochefort contre Gambetta.
Le 28 juin, c’est un rapport, d’un autre policier, sur sa femme, qui affirme:
La femme Trinquet, qui habite Belleville rue Ramponneau, se montre plus exaltée que par le passé parce que son mari n’a pas été compris dans les amnistiés. La femme Trinquet, qui a élevé un fils dans des sentiments de vengeance, dit qu’à son retour son père trouvera un fils digne de lui.
À Belleville, on tient à l’amnistie, et cela s’exprime parfois avec force. En particulier contre Gambetta qui, après tout, la toponymie (d’aujourd’hui) le montre, est la vedette du quartier… Voici une histoire qui se passe dans la grande salle de bal de l’Élysée-Ménilmontant, rue Julien-Lacroix, le 12 juillet 1879, au cours d’une fête démocratique au profit d’une école libre (c’est-à-dire, entre autres choses, laïque) du vingtième arrondissement. Tout va bien jusqu’au moment – il est minuit – où arrive Monsieur Gambetta, le député, qui est aussi, depuis le début de l’année, le président de l’Assemblée nationale. Son arrivée provoque un grand bruit avant un petit discours, que ceux qui sont trop loin n’entendent pas. Mais voilà qu’il se met à faire le tour de la salle, l’air majestueux, en serrant des mains. Un assistant crie
Vive l’amnistie !
trois fois. Ça semble énerver Gambetta. En tout cas il pousse le crieur et il râle:
Vous l’avez, l’amnistie !
Ah bon? La proposition d’amnistie a encore été rejetée. Et Gambetta, qui est le président de l’Assemblée nationale n’a pas voté pour. On en est à la « grâce amnistiante », qui, je l’ai dit, exclut beaucoup de monde. Alexis Trinquet, par exemple.
Gambetta aime le pouvoir. Est-ce une qualité pour un républicain ? Se souvient-il du « programme de Belleville » sur lequel il a été élu il y a seulement dix ans, avec l’aide d’ailleurs d’Alexis Trinquet ? Tant de sang a coulé sous les ponts… Le crieur bousculé écrit au journal Le Prolétaire pour lui raconter ça.
De plus en plus souvent, le nom d’Alexis Trinquet est utilisé à Paris, on l’élit président — d’honneur, il est absent — de réunions, en en septembre 1879, on parle de le présenter aux élections à Javel.
Adélaïde Trinquet est objet de surveillance, la police s’intéresse à savoir, par exemple, qu’elle assiste aux funérailles de Gabriel Ranvier en septembre 1879.
En janvier 1880, son fils Julien écrit lui aussi au président Grévy.
Au nom de ma mère et au mien, je viens vous prier de jeter un regard de pitié sur la situation de mon père, condamné, depuis le mois de septembre 1871, aux travaux forcés à perpétuité. Mon père a été, il est vrai, condamné à trois ans de double chaîne pour tentative d’évasion, mais sa bonne conduite au pénitencier de l’île Nou lui a attiré toute considération. Mon père, monsieur le président, est un honnête homme et on ne peut lui reprocher que sa part prise à l’insurrection de la Commune. J’ai confiance, monsieur le président… etc., etc.
Pour continuer à allonger la liste des adresses de la famille Trinquet dans le vingtième arrondissement, noter qu’il dit habiter 51 rue Rebéval.
Quant à Alexis Trinquet, les travaux forcés lui sont commués
en déportation simple par décision du Président de la République en date du 8 février 1880
(je cite les archives du bagne)… et est autorisé à résider à Nouméa le 23 juin. Le temps, sans doute que les nouvelles de France arrivent. Pas sûr que le télégraphe ait fonctionné très efficacement dans ce cas !
De sorte que tout ce que je vais raconter ensuite se passe pendant cette période « d’attente ».
Sources
Toujours le dossier B a 1288 aux archives de la préfecture de police, ainsi que les archives du bagne aux ANOM.
L’histoire de l’élection de Trinquet et de la campagne menée pour l’amnistie dans le vingtième arrondissement est l’un des épisodes de mon livre
Audin (Michèle), Rue des Partants, terres-de-feu (2024).
