Il semble qu’Alexis Trinquet ait repris du travail à la fin du mois de janvier 1881.
Bien fatigué et amoindri par ces années de bagne, il a été nommé inspecteur du matériel de la ville de Paris. C’est « inspecteur à la préfecture de la Seine » qu’il déclare comme profession lorsqu’il sert de témoin au mariage de son ami (comme ancien membre de la Commune et comme ancien bagnard) Raoul Urbain, le 4 février 1882 à la mairie du dix-huitième. Plus étonnant, si Raoul Urbain, son épouse Victorine Vauclair, et Alexis Trinquet sont des bons quadragénaires, Julien Trinquet, qui n’a que vingt-cinq ans, est aussi témoin à ce mariage. Il habite d’ailleurs à la même adresse que ses parents, 11 boulevard de Belleville.
Alexis Trinquet est mort le 12 avril 1882. Il habitait en bas de Ménilmontant, 11 boulevard de Belleville, je l’ai dit, qui est du côté onzième arrondissement et, pour nous, entre les métros Couronnes et Ménilmontant. La levée du corps s’est faite à quatre heures de l’après-midi. Le deuil était conduit par le fils d’Alexis Trinquet et son beau-frère, M. Depernet — sans doute celui qui était témoin d’Adélaïde lors de son mariage avec Alexis, vingt-six ans plus tôt. Plusieurs policiers étaient de service et ont écrit des rapports. L’un a compté 800 personnes environ stationnant devant la maison mortuaire et 200 suivant le corps, Un autre a vu 1200 personnes de la maison. L’un le dit, l’autre pas, mais cela se passait sous une pluie battante. Ils ont bien sûr noté les personnes qu’ils connaissaient, commenté les couronnes et la couleur des immortelles qui les composaient. Et compté à nouveau les personnes arrivées au cimetière parisien d’Ivry. Cent, dit l’un. La voiture de deuil, suivie de 13 voitures de place, a pris la rue Oberkampf, le boulevard Richard-Lenoir, le boulevard Contrescarpe (notre boulevard de la Bastille), le pont d’Austerlitz, le boulevard de l’Hôpital et l’avenue de Choisy — il y a environ huit kilomètres — je suppose donc qu’il y avait peu de monde à pied, puisque notre policier indique que l’arrivée au cimetière a eu lieu à 5h40. Certains s’étaient rendus directement au cimetière, comme le maire du vingtième, Alphonse Humbert et Charles Longuet, dit le policier, alors que La Justice les a vus dans le cortège. La Justice a vu aussi Clemenceau (son directeur). Le policier, lui, dit que l’absence de Rochefort était très commentée. Tout le monde a vu Louise Michel qui, dit Le Figaro du 14 avril, a prononcé
l’allocution virulente qu’elle tient toujours en réserve pour ces occasions.
La même source affirme que Gambetta était venu présenter ses condoléances à Mme Trinquet avant le départ du convoi. Le policier a bien entendu un discours de Louise Michel, mais aussi des allocutions d’Urbain, ami intime de Trinquet, et de Charles Longuet. Voici donc la partie discours du compte rendu de La Justice.
Louise Michel a retracé la vie politique de Trinquet, ses luttes sous l’Empire, son héroïsme pendant la Commune, sa fermeté après la défaite et son intrépidité pendant le long supplice de la transportation. Avec une véritable émotion, en termes ardents, mais pleins de tact et de mesure, elle a parlé du retour de Trinquet de sa santé perdue, des souffrances endurées jusqu’à la délivrance finale. Elle a montré qu’il était toujours resté le même, fidèle à la cause sociale pour laquelle il avait bravé la mort et la torture du bagne.
— dit La Justice, mais, selon un policier, elle a fait crier à la foule
Malédiction à tous les bourreaux ! Gloire à toutes les victimes!
Je reviens à La Justice.
Le citoyen Champy a pris la parole au nom des camarades de la Nouvelle-Calédonie. Il a dit avec quelle cruauté, quel raffinement de vengeance la réaction victorieuse avait traité un des vaincus les plus dignes du respect même de ses ennemis. Il a rappelé l’évasion avortée de Trinquet et le châtiment qui lui fut infligé lorsque la mer, elle aussi impitoyable, l’eut rejeté vivant dans ce bagne d’où il aurait voulu fuir à tout prix, fût-ce par la mort.
Le citoyen Urbain, témoin du supplice de Trinquet à l’Ile Nou, a rendu hommage à son courage inébranlable.
En quelques paroles pleines de sincérité et d’émotion, il l’a vengé des attaques inconsidérées dont, jusque sur son lit de mort, Trinquet ressentit encore l’amertume.
Je conclurai cette série par le discours de Charles Longuet — il y a longtemps que je n’ai pas parlé de Charles Longuet sur ce site.
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La carte postale de couverture vient du musée Carnavalet. C’est un peu plus loin, du côté gauche, qu’habitait la famille Trinquet en 1882.
Sources
Toujours le B a 1288 des archives de la préfecture de police.