Je cite toujours l’article de La Justice sur les obsèques d’Alexis Trinquet.

Puis notre ami et collaborateur Ch. Longuet a terminé par quelques paroles d’adieux, dont voici la substance:

On vous a dit la vie entière de Trinquet; comment, encore enfant, il avait défendu la République les armes à la main. On vous a parlé de ses luttes contre l’empire, de sa modestie, de son énergique activité pendant le siège, de son courage simple, sans fracas et sans pose au 18 mars, aux derniers jours de mai 1871. Enfin on vous a raconté son stoïcisme après la défaite.
Pour moi, je ne m’attacherai qu’à un moment de cette vie si courte et si bien remplie. Pendant la Commune, Trinquet ne fut pas seulement un vaillant, un brave entre les braves, le digne émule des héros de cette lutte tragique, le noble compagnon d’armes d’un Flourens, d’un Delescluze, d’un Vermorel, d’un Ranvier ou d’un Varlin. Il fut aussi un travailleur consciencieux, infatigable. Aux séances de la Commune, il prit rarement la parole. Mais là comme au dehors, il donna à tous par son attitude l’exemple de l’abnégation. Bien qu’il ne se soit jamais séparé de la majorité,on peut dire de lui qu’il n’appartenait à aucune secte, ni à aucun groupe. Nul ne représenta mieux la cause populaire dans son unité.
Voilà ce que je vis pendant les deux mois où je siégeai à côté de ce véritable travailleur, de ce modeste ouvrier que le devoir et le choix du peuple de Belleville avaient fait législateur et soldat.
Ce que je n’ai pas vu, mais que vous savez tous, c’est ce qui devant l’histoire immortalisera le nom jusque-là obscur de Trinquet. Non, je n’ai pas vu cette scène. Et pourtant elle est là, en ce moment, devant mes yeux, comme si j’y avais assisté.
Vous vous rappelez tous ce premier procès des membres de la Commune. Après l’horreur foudroyante du massacre en masse il inaugurait la longue série, froidement sanguinaire, des vengeances en détail. Tout à l’heure on vous parlait de ce fou furieux, ce commandant Gaveau, qui l’écume à la bouche jetait la menace et l’insulte à la face des accusés et des avocats eux mêmes. Celui-là suffit à donner une idée de l’atmosphère morale qui régnait dans ce conseil de guerre. Au dehors la malédiction n’était ni moins éclatante, ni moins sinistre. Tous ceux qui avaient touché de près ou de loin à la Commune, étaient traités de criminels, d’incendiaires et d’assassins. Aucun bruit du dehors ne parvenait à l’oreille des prisonniers, rien que celle huée infâme. Ils n’entendaient pas cette acclamation de pitié ou de sympathie qui à la même heure s’élevait dans le monde entier. Ils ne savaient pas que partout au dehors les travailleurs, les humbles, les victimes sociales se déclaraient solidaires des vaincus de Paris.
Aussi, sous le poids de cette réprobation dont seul l’écho arrivait jusqu’à eux, quelques prisonniers ployèrent. Trinquet, lui, ne ploya pas. Au contraire, la passagère défaillance de camarades moins bien trempés que lui triompha de sa modestie naturelle. Il se redressa et, pour la première fois, peut-être, lui, le réservé, l’effaré, il prit une attitude. C’est dans cette attitude simple, mats altière, qu’il apparaîtra à la postérité lorsqu’elle fouillera les sanglantes archives du peuple et de la République. Ce jour-là, par ses quelques paroles tristes et amères, Trinquet fit plus pour sa cause qu’il n’avait jamais fait par son intrépidité dans le combat. Le premier, il sauva l’honneur des vaincus.

Je me permets d’ajouter que le citoyen Rougerie a peut-être lu cette dernière phrase — sans tenir compte de ce qui la précède. C’est intéressant de voir Champy, un de ceux qui ont « ployé », comme dit Charles Longuet, intervenir ici, pour son ami Trinquet. Je rends la parole à Charles Longuet.

Est-il donc besoin de dire qu’un tel homme était incapable d’une faiblesse encore moins d’une défection? Certes, Trinquet a pu croire, comme bien d’autres, qu’on ne faisait pas de la politique républicaine et socialiste avec des souvenirs de bataille.
Il ne croyait pas sans doute que pour rester digne de son passé il lui fallut toujours traîner après lui « le haillon de la guerre civile ». Mais au-dessus du haillon, il y a le vrai drapeau, l’idée pour laquelle on a combattu. Et quoi qu’on en ait dit, Trinquet n’a Jamais déserté son drapeau.
Un tribun trop fameux a dit un jour que les temps héroïques étaient passés. Citoyens, je souhaite, nous souhaitons tous que le temps des luttes tragiques ne revienne jamais. Mais le temps des héros dure encore. J’en atteste le cadavre de l’homme à qui nous venons dire adieu.

Après ces paroles, qui ont produit une vive émotion, la foule s’est écoulée dans un recueillement profond.

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Julien Trinquet était alors un typographe de 25 ans, compositeur au journal Le Temps,

à tous égards un ouvrier modèle. Très actif, très intelligent, d’un caractère aimable, il avait su se concilier les sympathies de tous ceux qui le connaissaient

— comme on le lit dans L’Estafette du 17 octobre 1882. Si cela ressemble à un article nécrologique, c’est simplement parce que c’en est un. Julien Trinquet est mort, six mois après son père, et a été enterré le 15 octobre 1882.

En 1885, un hebdomadaire daté du dimanche, Le Nouvelliste parisien a publié des « Mémoires » d’Alexis Trinquet, mais on a du mal a trouver ce journal, en ligne comme en bibliothèque. J’en ai vu très peu.

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Pour terminer, une belle image d’Alexis Trinquet jeune, tenant un numéro de La Marseillaise dans la main droite et une marionnette Rochefort dans la gauche. Elle est signée des initiales F.M. et je l’ai copiée au musée Carnavalet. Le recueil auquel elle appartient se nomme La Commune (original) et porte les noms d’auteurs Hippolyte Mailly et Charles Vernier — qui étaient tous deux des dessinateurs, je suppose que F.M. désigne Hippolyte Mailly..

Livres cités

Rougerie (Jacques)Procès des communards, Julliard (1964).

Mailly (Hippolyte) et Vernier (Charles)La Commune — série de portraits avec notice biographique : ses membres, ses délégués et ses journalistes, A. Mordret (1871).