Je continue de parler de la biographie de Pierre Vésinier (voir ici pour les débuts, pour les années 1869-1870, et le premier article pour le programme de la série).

Bien que Pierre Vésinier ait été exclu de l’Association internationale des travailleurs à Bruxelles en 1868, son nom figure dans une liste de membres de la « section du Panthéon » de cette association. La liste est conservée aux Archives de la préfecture de police. Elle a été recopiée, mise par ordre alphabétique et publiée dans le dictionnaire Maitron (papier).

Cette liste ne porte aucune date. Mais clairement, nous sommes là entre 1869 et 1871. Disons donc 1870. Elle comporte quatre-vingt-un noms. Dont quelques-uns (plus ou moins) connus, comme celui du vieux fouriériste Victor Considerant (dont l’adresse n’est pas indiquée). De façon remarquable (au sens de « exceptionnel »), huit de ces quatre-vingt-un noms sont des noms de femmes.

  • Rose Jardinand, cuisinière, 29 rue Bonaparte
  • Victorine Scelles, couturière, 133 rue Saint-Honoré
  • Marie Dutrex, giletière, 18 rue des Chaufourniers, ce qui confirme que « Panthéon » ne doit être pris dans un sens géographique strict
  • Octavie Tardif, que nous connaissons, dont la profession, confectionneuse, n’est pas indiquée, qui a été secrétaire de la section, 18 avenue d’Italie
  • Amélie Payen, parfumeuse, 48 avenue Daumesnil
  • Angelina Demange, passementière, 24 rue Mouffetard
  • Ernestine Bastien, brocheuse, 330 rue Saint-Jacques
  • et j’ai gardé pour la fin Louise Diringer, dont je vais parler maintenant.

Deux remarques :

  •  les adhérents n’ont pas écrit eux-mêmes leurs noms qui, à partir du quatrième, sont tous de la même main. Il y a donc des fautes. Par exemple, le scripteur a écrit Considérant, avec un accent, ce que Maitron a corrigé dans sa liste (en Considerant, sans accent). Il ou elle a écrit Déringer (nom à peu près inexistant), mais personne n’a corrigé.
  • Octavie Tardif est indiquée ainsi :

Tardif (femme) / Octavie / id [même adresse que son mari à la ligne précédente] / 0,50 [la cotisation, tous ont payé la même]

alors que Louise Diringer est :

Vésinier (Mme) / Louise Déringer / rue Bréa 1 — [ce qui semble être une reprise du « journaliste » à la ligne au-dessus] / 0,50

Voyez la différence : Octavie Tardif est la femme de Martial Tardif, elle est légalement, épouse (mais on disait femme) Tardif, son nom de naissance n’a pas de raison d’apparaître. Au contraire, Louise Diringer est peut-être appelée Mme Vésinier, mais pourrait bien ne pas être son épouse légitime (ce qui me serait complètement égal s’il n’y avait pas de suite…).

Pour une raison qui lui est propre — qui suis-je, moi, pour poser des questions ? — Jean Maitron, dans le volume 4 de son dictionnaire, a, non seulement mis la liste de ce document par ordre alphabétique, mais il n’a pas corrigé le nom de Louise Diringer, et a ajouté, sans préciser qu’il était de lui, un « née » inutile et trompeur.

Les ragots des voisins, rapportés par la police, longtemps après (6 novembre 1872) nous « apprennent » que Vésinier

vivait en concubinage avec une fille d’origine allemande qui recevait fréquemment des lettres datées de Berlin

— le concubinage n’est pas exclu, je reviendrai sur l’origine allemande, les lettres de Berlin sont sans doute à mettre au compte de la prussophobie… ai-je besoin de dire que « fille » est dépréciatif?

(À suivre)

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La liste (dont une photo d’une partie est en couverture) est dans le dossier Ba 329 aux archives de la préfecture de police. Merci à Vincent de m’avoir envoyé copie de la version de cette liste publiée dans le dictionnaire Maitron. J’ai aussi utilisé le dossier Ba 1293.