Après un article de 15 août, voici, avec un jour d’avance, un article de Saint-Barthélemy. Il y a un an, en août 2022, de façon adéquate puisque c’était le 450-aire du massacre de la Saint-Barthélemy (le 24 août 1572), j’ai lu Tous ceux qui tombent de Jérémie Foa, dont le sous-titre est « Visages du massacre de la Saint-Barthélemy ».

Comme les lectrices et lecteurs de ce blog s’en doutent, je m’intéresse à l’histoire — et en particulier aux massacres à Paris. Comme j’essaie de le dissimuler, je n’ai pas eu de formation d’historienne et j’apprends beaucoup en lisant les livres d’historiens. En particulier celui-ci. Sur la question des sources, notamment, qui y est très bien présentée. 

Le livre est bien écrit, composé de chapitres assez courts. On y lit bien l’enquête à partir des archives notariales. On y lit aussi le Paris de ce temps — comme décrit par (le pré-Haussmannien) Balzac, qui en était plus proche, dans son roman Sur Catherine de Médicis –, les voisinages, les massacreurs et les massacrés. On est loin de la Chronique du règne de Charles IX ou d’autres livres dont les personnages sont Catherine de Médicis, Charles IX, etc., etc. Comme le dit l’auteur dans son introduction,

L’enquête tourne […] le dos au Louvre, délaisse le monarque, les Guise et leurs intrigues, ignore longtemps Coligny et la reine-mère.

Ici, les personnages sont les Parisiens massacreurs, les Parisiens massacrés. Bref, un livre très passionnant.

Pourtant, j’ai été très gênée par un des chapitres, qui porte le titre « La ruse des communards ». À part être massacrés à leur tour, que viennent-ils faire ici, ceux-là? Eh bien voici. Je cite: 

Les 23 et 24 mai [le 24, en réalité], les communards de Paris incendient l’Hôtel de Ville et le Palais de Justice, réduisant en cendres les deux copies de l’état civil de la capitale — et avec lui les millions d’actes de naissance, de baptême [les actes de baptême n’appartiennent pas à l’état civil proprement dit — mais ça ne les empêche pas de brûler], de mariage de tant de Parisiens [bizarrement, il n’est pas fait mention des actes de décès]. Peu favorable à la Commune, l’historien Auguste Jal établit clairement, pour le condamner, ce lien entre révolution et destruction d’archives [Et il cite à son tour] :

Il était tout naturel que les hommes qui voulaient abolir la famille missent dans leur programme d’incendiaires la disparition des actes qui établissaient les filiations de toutes les familles, généalogie certaine du peuple, de la bourgeoisie, de la noblesse. […] Il leur fallait brûler les preuves des mariages de leurs aïeux, de leurs pères, d’eux-mêmes et de leurs enfants. Ils ne voulaient plus de mariages, que leur importaient les registres des anciennes paroisses de Paris et ceux des municipalités où étaient inscrits les actes dont le recueil, pour chacun d’eux, composait l’histoire de sa famille.

Je ne connaissais pas Auguste Jal (1795-1873). Il avait travaillé avec beaucoup d’archives qui ont brûlé pendant la Semaine sanglante. On comprend qu’il ait été atterré par ces destructions. Même s’il en avait eu la volonté, il n’a eu ni le temps ni les moyens (voir la date de sa mort) de comprendre que:

  • les communards ne voulaient pas abolir la famille
  • qu’ils n’avaient pas de programme d’incendies

et peut-être n’avait-il pas réalisé non plus à quel point l’état civil est une institution démocratique — c’est bien de cette invention de 1792, en même temps que la République, que je parle. C’est surtout à faire l’histoire des inconnus que l’état civil est utile, je pense au

Louis-François Pinagot a existé. L’état civil en témoigne.

d’Alain Corbin. Et à toutes les difficultés que nous avons tous avec ces actes parisiens qui nous manquent, pour faire l’histoire de telle ou tel communarde… J’ai écrit il y a déjà un moment un article sur cette question auquel je renvoie. 

Je le répète, je peux comprendre la réaction d’Auguste Jal, « à chaud ». Mais je ne crois pas qu’il y ait eu là la moindre ruse des communards. Et il me semble que les historiens d’aujourd’hui peuvent discuter ces affirmations…

N’empêche, c’est un beau livre, et je suis sûre que ses lectrices et lecteurs y ont appris ou y apprendront beaucoup. 

*

Je remercie Jérémie Foa pour ses commentaires sur une première version de cet article.

Livres cités

Foa (Jérémie)Tous ceux qui tombent Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, La Découverte (2021).

Balzac (Honoré de)Sur Catherine de Médicis, Œuvres complètes, vol. XV, Furne (1842-1848).

Mérimée (Prosper)Chronique du règne de Charles IX, Calmann-Lévy (1890).

Corbin (Alain), Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot: sur les traces d’un inconnu 1798-1876, Flammarion (1998).