L’état civil est une institution éminemment républicaine. Il est inventé, en France, en même temps que la République, en septembre 1792.

Chacun doit y laisser sa trace — la déclaration de la naissance des enfants est obligatoire.

« Partout » (ou presque, c’est l’objet de cet article) en France, l’état civil commence en 1792. Évidemment, ceux d’entre vous, lecteurs et lectrices, qui « remontez » à Godefroy de Bouillon, vous pouvez trouver trace de vos ancêtres d’avant la Révolution dans des registres paroissiaux — à condition qu’ils aient été baptisés dans une église chrétienne.

Pourtant, à Paris, l’état civil commence en 1860.

1860, c’est l’année où le Paris inclus dans l’enceinte « des fermiers généraux » (à peu près le tracé des lignes 2 et 6 du métro) annexe les villages inclus dans les « fortifications » (l’enceinte Thiers, entre les boulevards extérieurs et le périphérique).

On regroupe alors tous les registres d’état civil de Paris et des communes annexées (Charonne, Ménilmontant, Belleville, La Chapelle, Montmartre, Batignolles, Passy, Auteuil, etc.) pour les conserver dans une annexe de l’Hôtel de Ville, avenue Victoria.

Et, à partir du 1er janvier, on ouvre des nouveaux registres dans les mairies des nouveaux arrondissements, où ils sont désormais conservés. Voici le tout premier enfant déclaré — le 1er janvier 1860 — dans le onzième arrondissement:

Ces registres sont en ligne sur le site des Archives de Paris.

Autour de la Commune de 1871, il se passe trois choses:

  • D’abord, les membres de l’assemblée communale, élus par les arrondissements, décident de s’occuper des actes d’état civil. À partir de fin mars ou début avril, selon les arrondissements, la nouvelle administration écrit dans les registres. On va voir qu’on reconnaît ces actes assez facilement.
  • Le 24 mai, se défendant contre l’armée versaillaise entrée dans la ville le 21 et utilisant l’incendie comme arme de guerre, des membres de la Commune décident d’incendier l’Hôtel de Ville — et l’annexe contenant les actes d’avant 1860 brûle.

Et voilà pourquoi l’état civil parisien commence le 1er janvier 1860.

  • En juillet, la nouvelle administration municipale « bâtonne » les actes rédigés pendant la Commune. C’est-à-dire les barre d’un grand trait (c’est ainsi qu’on les reconnaît). Et les annule. Il faudra donc recréer les naissances, les mariages, les décès.

Voici un acte bâtonné, celui d’un enfant né le 1er avril dans le deuxième arrondissement:

Quelques commentaires sur l’incendie. À propos de celui des Tuileries, Gustave Lefrançais a écrit, dans son Étude sur le mouvement communaliste:

Oui, je suis de ceux qui ont tressailli de joie en voyant flamber ce sinistre Palais d’où était tant de fois parti l’ordre de massacrer le peuple, et ou tant de crimes anti-sociaux avaient été prémédités et glorifiés.

Comme l’a dit Nathalie Lemel: nous ne voulons plus de roi, nous n’avons pas besoin de palais.

Oui. Et, comme je l’ai déjà écrit quelques lignes plus haut, l’incendie est une arme de guerre — et c’était bien une guerre!

Dans le cas de l’Hôtel de Ville, le symbole est moins évident. Et il est bien dommage, pour nos amis communards, qui bien souvent n’existent que par leur état civil, que tous ces actes qui étaient leur histoire soient partis en fumée.

Pourquoi j’ai écrit cet article? 

J’ai lu il y a quelques jours — enfin, au temps où on pouvait encore aller dans les librairies — un roman « noir », que je vous conseille, Richesse oblige, d’Hannelore Cayre, dans lequel un enfant naît le 1er avril 1871 dans le deuxième arrondissement de Paris. Si cette naissance a une grande importance pour les personnages du roman et leur histoire, le fait que le registre des naissances du deuxième existe ou pas est très secondaire. Pourtant, le fait que l’état civil parisien jusqu’en mai 1871 a brûlé est dit au moins deux fois dans ce livre.

S’il est bien vrai qu’il est né rue du Quatre-Septembre le 1er avril 1871, l’acte de naissance de Renan Astyanax de Rigny doit, à n’en pas douter, se trouver dans le registre du deuxième arrondissement, comme (et pas très loin de) celui que j’ai reproduit ci-dessus.

Il n’est pas vrai que l’état civil parisien était « stocké à l’Hôtel de Ville » — comme je viens de l’expliquer. Et surtout pas « depuis le XVIe siècle » — puisque l’état civil date de 1792. Ce que pourtant on peut lire p.74 de ce livre.

Et, puisque j’écris cet article pour rappeler le côté « démocratique » de l’état civil, je dois aussi dire que je ne crois pas que lui « foutre le feu » était

un geste politique pour faire table rase des filiations bourgeoises et de l’hérédité.

Il y a deux ou trois autres erreurs (vraiment des détails cette fois) dans ce livre, mais l’héroïne a lu Victorine Brocher… Alors…

Livres cités

Cayre (Hannelore)Richesse oblige Métailié (2020).

Lefrançais (Gustave), Étude sur le mouvement communaliste, suivi de La Commune et la Révolution, avec une préface de Jacques Rougerie, Klincksieck (2018).

Brocher (Victorine), Souvenirs d’une morte vivante Une femme dans la Commune de 1871, Libertalia (2017).