Suite des souvenirs de Maxime Lisbonne. L’épisode précédent est là. Comme toujours, les titres sont les dates de parution dans L’Ami du Peuple. Et ce qui est en bleu m’est dû.

La vie était monotone: des médecins, des sœurs, des ratichons et des sabres.

Un moment, une épidémie régnait dans la garnison de Versailles. — On nous fit évacuer l’hôpital. — La plupart d’entre nous furent dirigés sur les prisons; je fis partie de ceux qui furent envoyés à l’ambulance de Satory.
Une voiture d’ambulance nous y transporta, et, sans égard à notre situation, ce fut au grand galop, cahotés malgré nos cris de douleur.
L’ambulance de Satory était située dans des docks ouverts à tous les vents. Nous étions couchés sur des chalits, ornés de mauvaises paillasses.

Il y avait à peine cinq jours que j’y étais que la scie des instructeurs recommença; je pensais être en état de pouvoir me présenter avec les membres de la Commune et du Comité central devant le 3e [conseil] de guerre [Celui-ci ayant commencé le 7 août, on voit que la chronologie est à nouveau maltraitée : l’arrivée de Maxime Lisbonne dans cette ambulance est postérieure.] présidé par le colonel Merlin, ayant comme substitut le fameux commandant Gaveau [Je rétablis l’orthographe], mort fou à la suite de remords de l’acharnement qu’il avait mis à nous poursuivre. [Gaveau est mort fou, certes, mais de remords?]

Quelques jours après le jugement rendu par le 3e conseil, Gaveau fut conduit dans une maison d’aliénés [Si je comprends bien, il était encore présent pour formuler l’acte d’accusation contre Maxime Lisbonne en décembre 1871. Il est mort en 1873.].

Mon état de santé fut cause de ma disjonction au procès. [Il aurait en effet dû comparaître dans le procès « des membres de la Commune », qui comportait deux membres du Comité central et s’est achevé le 2 septembre.]

Vers les cinq heures du soir, le général Okolowicz, qui se trouvait à l’ambulance avec moi, vint s’asseoir sur le pied de mon lit et m’annonça qu’il allait s’évader [À l’heure, cinq heures du soir, ajoutons la date… d’après le Maitron, Okolowicz s’est évadé le 29 septembre — en tout cas la presse a parlé de son évasion, au moins, dès le 4 octobre.].

Cette évasion est une des plus remarquables. On lui avait fait parvenir un képi de lieutenant d’infanterie. [Le « on » était la sœur d’Okolowicz, merci, citoyen Lisbonne, de cesser d’omettre les femmes !] Il s’en coiffa, mit à sa boutonnière un ruban de la légion d’honneur, et partit vers les six heures avec le plus grand sang froid, passant devant une demi-douzaine de factionnaires qui lui rendirent les honneurs.
De son côté il ne négligea pas de rendre le salut à ces braves garçons. [Victor Jaclard s’est évadé le 1er octobre, il est possible que Maxime Lisbonne ait eu moins d’admiration pour lui que pour Okolowicz, en tout cas il n’en parle pas. Sur ces deux évasions — toutes deux réussies grâce à des femmes — je renvoie à cet article.]

Une voiture l’attendait à quelques pas de l’entrée des docks, qui le conduisit à Paris où il resta caché quelques mois.
Le soir à huit heures, au moment de l’appel, on s’aperçut de sa disparition. On prévint le commandant Mauduit et officiers, sous-officiers, soldats et infirmiers étaient sur pied, cherchant dans toute l’ambulance l’introuvable Okolowicz.

16 avril 1885

Le commandant qui savait que j’étais un de ses amis vint m’interroger, me demandant: Il n’y a pas longtemps qu’Okolowicz est venu vous parler, où est-il?
Les mouchards, comme toujours, l’avaient averti qu’on l’avait vu causer avec moi.
Je fis celui qui était endormi et étonné du départ de mon compagnon, j’ajoutai:

S’il est parti , je lui souhaite bon voyage et laissez-moi dormir.

Aussi, dès le lendemain matin à huit heures et demie, sans l’avis du médecin, ce commandant me fit hisser dans un fourgon d’ambulance qui conduisait le linge sale de l’hospice à Versailles, et je fus écroué de nouveau en cellule.
J’y restai quinze jours, sans soins. Et pour la deuxième fois la gangrène se remit dans ma blessure.
M. de Bérigny, médecin civil de la prison, ne voulait pas me garder. Il ordonnait tous les matins, à sa visite, qu’on me renvoyât à l’hospice militaire de Versailles.
Le colonel Gaillard répondait invariablement: Pas de place!

Il mentait. Enfin, après plusieurs entrevues, le commandant X…, sur les instances de ma femme m’y fit transporter.
Me voilà donc revenu pour la 3e fois entre les mains des médecins militaires. Je fus soigné par M. Thierry de Maugras qui n’aimait pas les communards.
Cependant tous ceux qui comme moi ont été soignés par lui n’ont pas à s’en plaindre.
Il n’avait qu’un défaut, il ne savait rien refuser à la justice militaire.
Quand elle lui donnait l’ordre de jeter un communard à la porte, à moins qu’il ne fût en train de râler, le malheureux était dirigé sur les prisons.
Les capitaines instructeurs les y attendaient avec impatience.

Gustave Maroteau, Courbet et le fameux Polhes [Stefanes Poles, dont a parlé Gromier, et que j’ai mentionné dans un article précédent], l’agent du petit Thiers, étaient à l’Orangerie. Trop malades pour y rester, les gendarmes les amenèrent pour me tenir compagnie. [Courbet a quitté Versailles pour Sainte-Pélagie le 22 septembre, une semaine avant l’évasion d’Okolowicz. Maxime Lisbonne revient donc un peu en arrière.]

Pendant le trajet, de l’Orangerie à l’hôpital, les officiers versaillais ameutaient la foule contre les malades.
On insultait particulièrement Courbet, le déboulonneur de la Colonne. Des gamins et des femmes leur jetaient des ordures.
Maroteau qui conservait sa gaîté habituelle, faisait signe qu’il n’était pas Courbet, et les projectiles de toutes sortes pleuvaient dru sur notre pauvre regretté peintre.
Courbet ne goûtait pas la plaisanterie. Avec son accent franc-comtois:

Allons, mon pauvre Maroteau! mais je vais être comme la colonne, finissez!…

(À suivre)

*

La photographie d’Auguste Okolowicz, avec sa signature, vient du livre de Dayot (sur Gallica).

Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles, autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.). [1901]