Voilà, j’arrive enfin, après plusieurs articles « biographiques », au but de cette série, éclaircir l’affaire du mariage mentionnée dans le premier article de la série.

Donc, nous dit Le Gaulois, Vésinier s’est marié à Londres en mai 1872. Si vous avez lu les articles précédents, vous avez compris qu’il est improbable que Lissagaray ait été témoin à son mariage et certaine que Marx (même avec le prénom Carle) n’y a pas assisté.
Fake news, donc. Ce qui m’a le plus énervée, c’est qu’on y fasse la liste de tous ces messieurs et qu’on ne parle d’aucune femme, même pas de la mariée, qui passe du statut de « fille de » à celui de « femme de » sans avoir jamais eu d’identité. Dans cet article d’un journal réactionnaire et mal-intentionné comme dans ceux d’historiens se croyant bien intentionnés.

Je rappelle que, né en 1828, Gabriel Ranvier était plus jeune que Vésinier (né en 1824). Cela ne l’empêchait certes pas d’avoir une fille en âge de se marier, mais quand même.
Je n’ai pas la prétention de rechercher un acte d’état civil ou l’équivalent, anglais — je ne saurais d’ailleurs pas comment faire. Mais… si Vésinier a épousé quelqu’un, cela doit se voir sur son acte de décès. Il est mort le 10 juin 1902 dans le vingtième arrondissement de Paris. Voici son acte de décès :

Ainsi donc, c’est bien avec Louise Diringer qu’il était marié.
Cet acte contient une rareté : c’est une femme qui a déclaré le décès. Depuis 1897, la loi ne l’interdit plus… Cette témoin est Marie Schertzer, nièce et modiste. En effet, l’annuaire du commerce la connaît comme modiste, rue Claude-Bernard.
Nièce, ne s’appelant ni Vésinier ni Diringer, elle est la fille d’une sœur, de l’une ou de l’autre des époux. Je vous passe les détails de la façon dont j’y suis arrivée, mais c’est cette nièce qui m’a donné le fin mot de l’histoire du mariage de Vésinier — et de l’identité de Louise Diringer.

Louise Diringer est née le 3 novembre 1838 à Strasbourg — c’est sans doute son accent alsacien qui a fait que ses voisins l’ont prise pour une Allemande (voir les ragots dans le quatrième article de cette série). Par contre, les rumeurs répandues par les mêmes voisins sur la fortune qu’elle aurait apportée à Vésinier sont probablement infondées : son père était journalier — après avoir été garçon blanchisseur. Sa sœur aînée, Marie-Madeleine Diringer, née treize ans plus tôt, le 27 décembre 1825, a épousé un relieur né en 1824 qui s’appelait Théodore Frédéric Schertzer.

Il est possible que toute la famille se soit retrouvée à Londres : un « Congrès fédéraliste universel des sections de l’Association internationale des travailleurs et des sections adhérentes » — qui prétendait sans doute remplacer la « vraie » association internationale et son conseil général — s’est tenu le 16 et 17 septembre 1872 à Londres, dont le journal La Fédération, lui-même fondé par Vésinier trois semaines plus tôt, a rendu compte. On y voit un « citoyen Schertzer » prendre la parole (je l’ai trouvé dans La France du 24 septembre).

Je l’avoue, il y a un petit doute dans cette histoire : lorsqu’elle a déclaré la mort de son oncle en 1902, Marie Schertzer a dit qu’elle avait trente ans. Elle serait donc née vers 1871, date où sa mère aurait eu quarante-cinq ans, ce qui semble beaucoup. Je n’ai pas vu d’acte de naissance de Marie Schertzer, je ne sais d’ailleurs même pas où elle est née… mais je crois possible qu’une modiste de trente-cinq ans n’en avoue que trente.

En tout cas, l’épouse de Vésinier est identifiée. Louise Diringer a accompagné Pierre Vésinier pendant plus de trente ans. Si la « fake-news » du mariage avec la « fille de Ranvier » a un petit fondement, elle nous apprend peut-être le mariage, à Londres, en 1872, des deux « concubins » parisiens de 1869.

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Ici je vais arrêter cette histoire. J’ai anticipé en parlant de la mort de Vésinier avant de vous parler de toutes les « crapuleries » qu’il a encore faites à son retour d’Angleterre. Je me contenterai de signaler le titre de son dernier livre, paru en 1892, Comment a péri la Commune. Je suis sûre que vous connaissez la réponse : tous des traîtres et des incapables… Il a déversé tellement de calomnies qu’un des communards, Albert Goullé (vous vous souvenez d’Albert Goullé? sinon, voyez sa lettre dans cet article), l’a attaqué pour diffamation. Bon, il est mort, n’en parlons plus.

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L’acte de décès vient, bien sûr, des Archives de Paris.

Livres cités

Marx (Karl) et Engels (Friedrich)Correspondance, Éditions sociales (1985).

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Vésinier (Pierre)Histoire de la Commune de Paris, Chapman & Hall, Londres (1871), — Comment a péri la Commune, A. Savine (1892).