Au cours de la guerre versaillaise contre Paris, du 2 avril au 28 mai 1871, les journaux n’en finissent pas de raconter les « chiffons rouges » conquis sur les communards. Il peut sembler bizarre qu’il en reste si peu (voir l’article précédent de cette série). Qu’est devenu le drapeau (rouge) du bataillon de Duval, le 101e, pris si glorieusement dès le 3 avril et dont j’ai parlé dans un article précédent?  Il est probable que ces « loques » ont été détruites. Le drapeau tricolore du 147e conquis le 7 avril n’a peut-être dû sa survie qu’au fait, justement, qu’il était tricolore.

Voyons ce que disent les journaux. Celui du 101e est le seul drapeau conquis pendant la sortie torrentielle et mentionné par la presse.

Notons tout d’abord — ça ne va pas durer — qu’il n’y a pas que les versaillais qui conquièrent! Les fédérés en prennent deux à Neuilly le 16, ce qui occasionne un article dans le Journal officiel du 17. Des officiers de l’état-major de Dombrowski les apportent à l’Hôtel de Ville.

Le premier de ces drapeaux est de couleur verte, et porte la croix vendéenne; le second est composé des trois couleurs, disposées en forme de croix. Le drapeau vendéen, arboré sur une habitation, a été enlevé dans un élan commun par les officiers et gardes du 210e bataillon. Le second drapeau versaillais, planté sur une barricade, a été pris par le citoyen Letellon (Jean-Félix), garde à la 3e compagnie de marche du 134e bataillon, qui combattait dans les rangs du 114e bataillon de la garde nationale.
Ce n’est qu’avec peine que cet énergique citoyen s’est séparé de son glorieux trophée, et s’est décidé à le laisser partir à l’hôtel de ville.

Ils sont mentionnés dans un rapport de Beaufort (même journal, même date) et dans les procès verbaux de la Commune. Il y a beaucoup de témoins, de sorte que c’est certainement vrai. Il y avait donc vraiment des drapeaux vendéens… La presse hostile n’en parle pas. J’y ai passé un peu de temps, parce que c’est le seul exemple que j’ai trouvé de drapeaux pris par les fédérés. Ils sont certainement partis en flammes avec l’Hôtel de Ville le 24 mai…

Quelques jours plus tard, toujours à Neuilly, la légion étrangère (je ne sais pas s’il s’agit du même corps que le « régiment étranger » auquel appartenait le capitaine suisse Cérésole) conquiert, puis ramène fièrement à Versailles et à Thiers lui-même un drapeau rouge (Paris-Journal, 22 avril).

C’est l’échec d’une opération de fédérés à Bagneux, où la route est jonchée de « leurs » morts, que rapporte le Journal officiel de Versailles le 25 avril, et

le hideux drapeau rouge et celui qui le portait sont entre nos mains.

Les combats s’intensifient. C’est encore à Neuilly que le drapeau du 141e, « énorme drapeau rouge », est pris le 1er mai (Gaulois, 11 mai), c’est peut-être du même que parle Paris-Journal (à la même date), drapeau rouge « étoffe déchirée » enlevé à Neuilly. L’opération contre la redoute du Moulin-Saquet (dans la nuit du 3 au 4 mai) fait beaucoup de morts et encore plus de prisonniers fédérés, elle s’accompagne, selon les journaux, d’un drapeau (Le Siècle, 7 mai) ou de trois drapeaux rouges (Le Français, 6 mai). Et, bien entendu, la bataille autour du fort d’Issy, dont les drapeaux rouge/tricolore ont été le symbole (voir cet article), envoie plusieurs drapeaux rouges à Versailles (six, selon L’International du 12 mai, sept selon Le Français et cinq ou six selon Le Siècle). Un journal annonce que le drapeau du 85e avait été pris, mais le Journal officiel (de Paris!) dément (par la plume de Combatz, le 14 mai).

Si l’on en croit la presse, dans les jours qui suivent, les drapeaux rouges s’accumulent à Versailles. Quatre y arrivent le 16 mai, trophées de la prise du fort de Vanves (La Patrie, 19 mai), dont l’un est peut-être celui du 67e (Le Gaulois, 18 mai). L’ énorme drapeau rouge en soie » du 142e arrive du Moulin de Cachan (Bulletin du jour, 21 mai).

L’armée entrée dans Paris accumule les drapeaux en même temps que les massacres. Cinq immenses, « de soie et d’or » sur les Champs-Élysées (Le Gaulois, 23 mai). Le 38e de ligne en prend « plusieurs » (Le Siècle, 31 mai). Puis c’est l’inflation, vingt-deux à Belleville (L’International, 28 mai), trente aux Buttes-Chaumont (Le Petit journal, 1er juin), que trois régiments descendent par la rue Lafayette (au moins l’itinéraire est raisonnable). Plus modestement, un grand drapeau rouge frangé d’or, 12e légion et Vive la Commune, avec un numéro de bataillon que le journaliste n’a pas noté (Le Gaulois, 1er juin), et celui du 117e, que j’ai déjà mentionné (La Patrie, 5 juin).

À Versailles, les vainqueurs défilent en ville, « les drapeaux rouges attachés à la queue des fourgons traînant dans la poussière » (L’Avenir libéral, 1er juin).

Pourtant, certains des vainqueurs ont conservé précieusement les drapeaux qu’ils avaient conquis, comme, à l’époque, outre ceux dont j’ai déjà parlé (pour les drapeaux du 145e et du 147e), il y a eu un M. Roulez, qui en a pris un à la barricade de la rue Fléchier (près de Notre-Dame de Lorette), qui me donne le plaisir de citer Le Figaro (2 juin).

À suivre

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Pour illustrer cet article, le drapeau rouge sur le Panthéon — avant que celui-ci soit pris par les versaillais. Une image que j’ai déjà utilisée, notamment ici.