Puisque L’Ami du Peuple et Victor Hugo nous ont amenée à parler du Panthéon (voir nos articles ici, là, et encore là), revenons-y. Quatorze ans en arrière, au printemps 1871.
Sous la direction du citoyen Fouques, de hardis ouvriers abattaient les deux bras de la croix qui enlaidissait le chef d’œuvre de Soufflot, et le Comité des femmes socialistes apportait à la mairie un vaste et superbe drapeau, que ces vaillantes citoyennes offraient à la Commune.
La manifestation fut vraiment grandiose et les cléricaux en conçurent contre moi une de ces haines que l’espace et le temps sont impuissants à faire disparaître. Lorsque la rouge oriflamme, se déroulant orgueilleusement, claqua au vent, une formidable acclamation s’éleva de la place et des rues entourant le Panthéon, pendant que le canon tonnait et que la petite armée révolutionnaire défilait aux accents du Chant du Départ, où se mêlaient les cris de « Vive la République! Vive la Commune! »
C’est Jean Allemane, un communard militant du cinquième arrondissement qui raconte cette scène ainsi. Il a précisé la date juste un peu avant:
Les forces de la Légion [les bataillons de la garde nationale du cinquième arrondissement] se trouvant à peu près réorganisées, nous crûmes utile de faire coïncider leur revue avec la manifestation anticléricale que nous avions projetée à l’occasion de l’enlèvement de la croix du Panthéon et de son remplacement par un immense drapeau rouge.
En effet, ce moment des Mémoires de Jean Allemane se passe après la désastreuse sortie torrentielle du 3 avril. C’est un beau moment symbolique de l’histoire « populaire » de la Commune, dont il est certain que tous les participants ont gardé le souvenir. Il n’est pas exclu pourtant que le citoyen Allemane, écrivant ses Mémoires trente ans après les faits, se trompe de date. On lit en effet, dans La Sociale datée du 2 avril (ce journal du soir est daté du lendemain, il est donc paru le samedi 1er avril):
Aujourd’hui, par ordre des membres de la Commune administrant le cinquième arrondissement, le Panthéon a été retiré des cultes; il est redevenu l’asile funéraire des grands hommes. Dès le matin, la croix avait disparu du dôme; le citoyen Jourde, membre du Comité central, après avoir annoncé au peuple la décision de la Commune, a fait hisser au sommet du monument un immense drapeau rouge. À ce moment, les cris de Vive la Commune! ont éclaté; les 119et et 163e bataillons de la garde nationale ont présenté les armes; les canons du Panthéon, de la place d’Enfer et de la mairie de Montrouge ont salué d’une salve de vingt et un coups le drapeau de la révolution communale.
Le compte rendu n’est pas exactement le même, mais les lecteurs des Mémoires de Jean Allemane savent certainement que leur auteur ne portait pas Jourde dans son cœur (et encore moins après que Jourde ait « oublié » de prévenir Allemane lorsqu’il s’est évadé de Nouvelle-Calédonie) et ne s’étonneront pas qu’il ne le cite pas. Toujours est-il que la date (31 mars ou peut-être 1er avril) est confirmée par Le Siècle du 1er avril:
Au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons qu’on scie la croix qui surmonte la coupole du Panthéon, afin de la remplacer par le drapeau rouge. Hier on avait abattu celle du fronton.
Comme il n’est pas possible à un journal, même bien informé (et pas davantage à deux journaux), de rendre compte d’événements qui n’ont pas encore eu lieu, nous devons admettre que cette grande fête a eu lieu avant la sortie torrentielle, et même, ce qui est bien plus fort, avant la décision par la Commune, le 2 avril, de séparer l’église et l’état. Je suppose qu’il y a eu une autre grande fête pour le passage en revue de la légion et que la mémoire de Jean Allemane a mêlé les deux.
Le drapeau rouge flottait encore sur le Panthéon le 24 mai, comme on le voit sur l’image de couverture, qui vient du musée Carnavalet. Je suppose qu’on l’avait descendu, deux jours après, lorsqu’on a fusillé Millière sur les marches.
Église Sainte-Geneviève? Panthéon national? On ne savait plus trop, en mai 1885, comme nous l’avons vu dans des articles précédents. On ne le savait plus, mais, rassurez-vous, chrétiens, la croix avait repris sa place. L’église a été séparée de l’état en 1905, le monument est Panthéon national, la croix est toujours là. Pour me faire pardonner d’avoir un peu maltraité le citoyen Allemane, je le laisse conclure pour nous deux:
La croix enlaidissant le monument essuiera sous peu une seconde et, espérons-le, définitive, descente.
Livre cité
Allemane (Jean), Mémoires d’un communard — des barricades aux bagnes, Librairie socialiste (1906).