Comme je l’ai dit, ce qui aurait dû être un fameux concert n’a pas eu lieu. Pour cause de Semaine sanglante.

Parmi les musiciens arrêtés, emmenés et emprisonnés à Versailles, je note un des frères Okolowicz (six frères, trois d’entre eux arrêtés, dont l’un, Édouard, est compositeur de musique). Charles de Sivry, dont je vais parler plus bas. Et, parmi ceux qui devaient participer au concert du 22 mai, le ténor Jules Michot, auquel je consacrerai les deux articles suivants.

Raoul Pugno n’a pas eu d’ennuis, malgré sa présence dans une liste de « tout l’état-major de la gredinerie cosmopolite » (vous avez deviné que nous lisons l’infâme Figaro — mais cette liste est reprise par presque toute la presse), parce qu’il était italien. Son père (mais pas lui!) a écrit une lettre pour le défendre, il n’avait pas le choix, etc., et ça a marché. Lui et Litolff ont été déclarés « mystifiés par la Commune » et n’en parlons plus. Un opéra bouffe d’Auguste de Villebichot, Nabucco, a été créé très tranquillement en septembre 1871. Jules Pacra, outre laisser son nom (ou celui de son fils?) à un lieu de concerts, a été le créateur (en 1881) de l’Association de prévoyance des artistes lyriques — certainement bien utile. Quant à Louis Antonin, il devait déjà préparer son virage à droite (Boulanger et Déroulède…).

Hippolyte Nazet, lui, a été condamné par contumace puis acquitté. Notez qu’il est un des auteurs de la célèbre chanson »Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ».

Je consacre donc la suite de cet article à Charles de Sivry (1848-1900). Même si on ne le trouve pas dans le Maitron, il a bien été arrêté après la Semaine sanglante. Il avait travaillé aux archives pendant la Commune. C’était un ami d’Edmond Lepelletier et de toute une bande parmi lesquels Camille Pelletan, Nina de Callias et surtout Paul Verlaine dont il était le beau-frère (sa malheureuse demi-sœur Mathilde Mauté avait épousé le poète), lui et Mathilde étaient aussi des amis de Louise Michel. De sorte que l’on trouve sans mal à se renseigner sur lui, par exemple dans la biographie de Verlaine qu’a écrite Edmond Lepelletier.

Mais aussi dans le livre de Marc Gromier, qui le voit arriver à l’Orangerie de Versailles (où lui, Gromier, est déjà) le 10 juillet, et qui apprend le 15 septembre qu’il a bénéficié d’un non-lieu.

Si je comprends bien, sa mère était pianiste et avait été une élève de Frédéric Chopin. Outre les informations et histoires autour de la vie de Verlaine, l’emprisonnement de Charles de Sivry à Versailles est à l’origine d’une histoire de musiciens (et si je ne la raconte pas ici, où pourrai-je le faire?). Au cours des quelques semaines qu’il a passées à Versailles, il a fait la connaissance d’un capitaine du 13e bataillon de la Garde nationale, Achille-Manuel Debussy, qui allait, lui, être condamné à quatre ans de prison (commués en privation de droits civiques), mais qui apprit à Charles de Sivry qu’il cherchait un professeur de piano pour son fils de neuf ans. C’est ainsi que le petit Claude Debussy a bénéficié des leçons de cette professeure, une élève de Chopin!

Je consacre l’article suivant au ténor Jules Michot, qui le tout premier a chanté « Ah, lève-toi soleil!« .

À suivre, donc

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La photographie du jeune Eaoul Pugno est due à Étienne Carjat. Je l’ai trouvée sur Gallica.

Livres cités

Lepelletier (Edmond)Paul Verlaine, sa vie, son œuvre, Mercure de France (1907).

Gromier (Marc-Amédée), La Commune Journal d’un vaincu, recueilli et publié par Pierre de Lano, Victor Havard (1892).