Jules Michot, détenu à l’Orangerie de Versailles depuis la fin du mois de juillet, est ensuite transféré à la prison des Chantiers et on dit (en tout cas Paris-Journal le dit le 7 octobre):
Tout le long du jour, Michot est d’une taciturnité profonde.
Sachant qu’il avait pris part à un concert donné par les détenus, quelques officiers de la garnison sont venus le prier, un de ces derniers soirs, de leur chanter au moins une cavatine.
Refus formel de Michot. — Un oiseau tel que moi ne chante pas en cage, a-t-il répondu.
Et il est retombé dans son immobilité.
Le 7 octobre, un journal écrit qu’il est hospitalisé à cause d’une bronchite — dangereux pour la voix d’un chanteur, une bronchite! — et prétend que parmi les charges retenues contre lui, il y aurait des dénonciations de réfractaires. J’en ai un peu assez des informations plus ou moins incontrôlées et répétées par les journaux. Voici un peu plus sérieux. Le Rappel réussit à paraître (trois semaines en novembre, voir à ce sujet cet article) et nous dit, le 6 novembre, sous la signature Émile Marsy:
M. Michot, un des plus charmants ténors de ce temps, est enfin sorti des prisons de Versailles.
Il est depuis quelques jours en pourparlers avec le directeur de l’Opéra. Mais on m’assure que ce dernier hésite à conclure l’engagement à cause « du passé politique » de M. Michot.
Si le fait est vrai, M. Halanzier ferait preuve cette fois d’une pusillanimité que je n’hésiterais pas à qualifier de coupable. La vie privée est chose absolument indépendante de la vie artistique et le directeur de l’Opéra n’a ici qu’un droit, c’est de chercher à savoir si M. Michot a du talent ou s’il n’en a pas. Le reste n’est pas son affaire.
Autrement, si son système prévalait, je me demande où il nous mènerait.
À entendre par exemple M. Dugué de la Fauconnerie [un député bonapartiste siégeant à l’extrême-droite] chanter Faust et à voir M. Rouher [ancien premier ministre de l’Empire] danser le ballet de Coppélia, tous prétexte que ces messieurs sont des amis de l’ordre.
J’aime à croire que M. Halanzier reviendra sur ses « craintes politiques » et qu’il nous permettra, en ce temps où les artistes de valeur sont plus que rares, d’aller prochainement applaudir la rentrée de M. Michot à l’Opéra National.
Lequel, soit rappelé en passant, est subventionne par l’Etat, c’est-à-dire par tout le monde.
Il a « bénéficié » d’une ordonnance de non-lieu. Et en effet, il semble que, libéré, il est engagé pour chanter Le Trouvère à l’Opéra. Sauf que… cette nouvelle soulève ce qu’il faut bien appeler une campagne de presse. Après laquelle, le directeur a été averti que ses représentations risquaient d’être chahutées, certains journaux disent même que les autres artistes de l’Opéra ne voulaient pas travailler avec lui. Et vive la « liberté » de la presse! Il chante à Toulouse en janvier, y est applaudi puis — le temps d’une campagne de presse — sifflé. De même à Marseille. Le Rappel reparaît le 1er mars 1872, à temps pour nous donner le 11 des informations raisonnables:
Le fils de M. Michot nous adresse une lettre dans laquelle il proteste avec raison contre la malveillance (soyons parlementaire) des journaux royalistes, à l’égard de son père.
Il nous donne sur la valeur de certains siffleurs de Marseille, des détails que nous n’osons publier, à cause de leur crudité et qui prouvent bien que les amis de l’ordre sont décidément les personnes les plus distinguées du monde.
Il termine par cette question qui me parait indiscrète par le temps qui court.
— N’a-t-on plus le droit d’être artiste quand on est républicain ?
Question si téméraire que je demande à ajourner ma réponse à la levée de l’état de siège.
D’autre part M. Michot père a cru devoir reprendre ses représentations et adresser à la presse de Marseille la note suivante :
Je déclare que je n’ai jamais été que simple garde dans la lre compagnie du 7e bataillon, du 9e arrondissement, pendant le siège de Paris et pendant la Commune. Mon bataillon a été dissous le 18 mai 1871 pour refus de service actif. D’autre part, je n’ai jamais chanté aux Tuileries.
J. MICHOT.
Reste à savoir si cette note suffira pour désarmer les amis de l’ordre, et s’ils n’exigeront pas que M. Michot leur dise s’il est vacciné, s’il paye son tailleur, et son opinion sur la manière de couper le gigot.
Il n’a jamais pu reprendre une vie et une activité normales, traînant toujours le boulet de la Commune derrière lui. Pourtant, l’hebdomadaire Paris-Théâtre lui a consacré sa couverture et un article en janvier 1874 (ici sur Gallica) — la belle photo de Jules Michot en Tamino dans La Flûte enchantée à la une de ce journal fait la couverture de cet article.
On ne le voyait plus guère sur les scènes. Mais souvent, comme lors de la fête du centenaire de la République (le 22 septembre) à Chatou où il habitait, selon Le Radical du 25 septembre 1892:
L’excellent Michot, avec son grand talent, sa voix toujours admirable et son cœur d’artiste républicain, a enlevé la Marseillaise avec un entrain qui enthousiasmait les convives. L’artiste a pris un plateau et demanda robole en faveur des grévistes de Carmaux, qui défendent les droits du suffrage universel. Le résultat a été la somme de 109 fr. 20, qu’il a apporté à la souscription du Radical.
En guise de remerciement, Michot a généreusement entonné le Chant du départ et les convives et la foule venus devant le restaurant, ont acclamé le céblèbre ténor.
Jules Michot est mort le 22 avril 1896. Il avait 68 ans et était presque aveugle.