Après avoir passé du temps sur le registre d’inhumations du cimetière de Charonne (j’en reparlerai), j’ai consulté d’autres registres, en y cherchant les morts, pas inconnus puisqu’enregistrés sous leur nom (parfois approximativement) mais quand même sans acte de décès. Pendant la Semaine sanglante, bien sûr. Pour ceux qui aiment la question « Combien? », je précise que ces morts ne sont pas inclus dans le décompte que j’ai fait pour la Semaine sanglante dans mon livre.

C’est à Montmartre, un cimetière dont les employés ont très soigneusement consigné les corps d’inconnus qu’ils ont enterrés, que j’ai trouvé Anne Boudant. Plus précisément, « Fe [femme] Galmiche » et, regardez, 6725 est un numéro d’ordre, la colonne suivante devrait contenir le n° de l’acte de décès, cela date du 27 mai, je n’ai toujours pas réussi à lire le prénom, qui devrait être dans la colonne suivante et, vous voyez, il y a deux lieutenants versaillais, eux aussi sans acte de décès, mais elle, la « femme Galmiche », elle est dite « rue de la Goutte d’Or, 40 » et surtout « fusillée le 24 mai ». Ce qui m’a stupéfaite (et m’a rendue honteuse de ne pas l’avoir vu plus tôt: comme vous vous en doutez, ce n’est pas la première fois que je regarde cette page de ce registre…). « Fusillée » (ou même « fusillé »), dans un document officiel, écrit au jour le jour… je crois que je n’avais jamais vu ça.

Stupéfaite, certes, mais ça ne m’a pas empêchée de m’énerver que Mme Galmiche figure là sous son nom d’épouse (nom de naissance pour les actes d’état civil, nom d’épouse pour les inhumations, c’est la règle, ne me demandez pas pourquoi). La dernière colonne indique l’âge, 35 ans pour cette dame, alors j’ai tenté ma chance dans les tables décennales des mariages dans le dix-huitième arrondissement, entre 1860 et 1872.

Bingo!

Et même double bingo! Parce que, si Émile Jean Honoré Galmiche était bien l’époux de notre fusillée et s’il s’est remarié (par chance, très vite, et donc dans le champ 1860-1872 de ce même registre), il a bien fallu qu’il prouve qu’il était veuf. Je suis donc allée lire ses deux actes de mariage.

Dans le premier, du 7 février 1863, j’ai appris le prénom et le nom de naissance de « femme Galmiche », qui se nommait donc Julie Anne Boudant. Elle était née à Avranches le 25 avril 1833, était couturière et vivait 50 rue de le Goutte d’Or — comme son mari menuisier. Je ne crois pas qu’ils avaient eu des enfants.

Émile Jean Honoré Galmiche a ensuite épousé, le 10 février 1872, une journalière de 43 ans, Augustine Eugénie Foucault, qui habitait comme lui 59 rue des Trois-Frères. Ils ont fourni un certain nombre de pièces, dont les actes de décès, notamment

de la première femme du futur, suppléé par un jugement

et donc il y a eu un jugement, sans doute dès 1871. Quelle chance qu’il se soit remarié si vite! S’il avait attendu l’année suivante, les recherches m’auraient été plus difficiles!

Et en effet, la liste alphabétique des actes de décès de 1871 indique qu’elle a eu un tel acte le 2 novembre 1871. Le jugement, transcrit à cette date, rapporte que, on l’a vue mourir, il n’y a pas de doute pour les juges,

le vingt trois mai mil huit cent soixante & onze à onze heures du matin est décédée à Paris rue des Trois Frères numéro cinquante trois Julie Anne Boudant, couturière, âgée de trente-huit ans.

On aura remarqué que l’adresse est sans aucun doute celle du domicile de la défunte et pas celle indiquée dans le registre du cimetière — qui est peut-être vraiment celle où elle est morte —, que pas plus un jugement qu’un acte de décès ne donne la cause de la mort, que la date non plus n’est pas la même. Le 23 mai, c’est la prise de Montmartre par les versaillais, elle a pu être tuée sur une barricade ou fusillée après la prise d’une barricade. Le 24 mai, c’est d’une « affaire de police » qu’elle a été victime, peut-être avait-elle de la poudre sur les mains, ou simplement « une mine d’insurgée ».

Le jugement enjoignait d’ajouter une note marginale dans le registre à la date du décès… injonction à laquelle l’officier d’état civil, qui était un adjoint nommé Émile Martin Landelle et signait « Martinlandellefils adj » (il a déjà été identifié sur ce site), n’a pas exactement obéi, mais il a ajouté là exactement la note dont j’avais besoin et que j’exploiterai dans le prochain article.

À suivre, donc!

Livre cité

Audin (Michèle)La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).