Suite de l’article précédent (nous sommes arrivés à la Semaine sanglante). Dans ces moment où j’aurais bien aimé voir ces messieurs les commentateurs, on dit qu’Alexis Trinquet participe à l’exécution d’un mouchard. Lui-même, malgré l’insistance des juges, ne l’a pas reconnu.
— Vous avez assisté à plusieurs exécutions?
— Je n’ai eu connaissance que d’une seule, celle du sieur Roth, officier de paix.
— Qui était accusé d’avoir refusé de tirer sur la troupe […]. Des témoins ont dit que vous l’aviez achevé d’un coup de revolver.
— Je nie ce dernier fait, qui ne m’a été révélé que dans l’instruction. J’étais seulement dans la cour de la mairie.
(Voir aussi un des articles consacrés au procès des membres de la Commune.) Le « sieur Roth » était, si j’en crois son acte de décès établi le 7 juin, un « employé » de 38 ans nommé Michel Rotte — comme son frère a signé l’acte, on peut faire confiance à l’orthographe Rotte (mais j’ai vu Roth, Rothe, Rodes…). Quant à la profession de ce monsieur, « employé », un rapport de police le dit « ancien sergent de ville ». Les déclarations des témoins ne semblent pas absolument crédibles. Même la date de l’exécution n’est pas claire, 24 mai ? 25 mai ? Toujours d’après l’acte de décès, il s’agissait du jeudi 25 mai. Voici les témoins. D’abord, un employé nommé Mourzzoli, selon le compte rendu du conseil de guerre, Morosoli d’après certains journaux.
— J’étais employé à la mairie du 20e arrondissement. J’y suis resté jusqu’au 24 mai. Le jour où a été exécuté le nommé Roth (qui avait un paletot bleu et une barbe forte), j’ai vu Trinquet, que je reconnais, dans la cour; il a tiré un coup de revolver sur la victime, quand elle a été tombée. J’ai parfaitement vu et reconnu Trinquet.
— Le témoin se trompe complètement.
— La cour était pleine de monde. Roth a été fouillé après sa mort. Le lendemain, autre exécution de quelqu’un qu’on disait être un marin, sans jugement et par les premiers venus. Trinquet, n’y était pas. Trinquet était mon ancien voisin de la rue du Retrait, 6.
On notera que, si la famille Trinquet vivait rue des Rigoles depuis douze ans en 1871, c’est-à-dire depuis 1859, si elle habitait encore le sixième (actuel) en 1857, il lui restait fort peu de temps pour avoir vécu rue du Retrait…
C’est ensuite un commis architecte nommé Eugène Bauer, Bohain selon la presse.
— J’étais employé au 20e arrondissement. J’ai vu, le 24, fusiller un homme par des gardes nationaux. Trinquet était présent ; je l’ai vu et reconnu: il a tiré avec son revolver après les autres.
— Bien certainement?
— Oui.
— Où était le témoin?
— À une fenêtre de l’entresol, au bureau de l’alimentation.
Un membre du conseil de guerre demande alors au témoin comment il a distingué Trinquet des autres gardes nationaux. Le témoin, employé à la mairie, dit qu’il le connaissait. L’avocat de Trinquet, Maître Denis, demande comment il était vêtu.
— Je ne l’ai vu qu’une fois ou deux en garde national ; les autres fois il était en bourgeois.
— Comment était-il vêtu ce jour-là ?
— Je ne sais pas ; je crois en garde national.
— Quand a-t-il été parlé de ce fait pour la première fois, demande encore l’avocat.
— Au commissariat de police du quartier, qui savait que je connaissais la chose.
Même le président ne semble pas convaincu. Il demande :
— Vous reconnaissez bien l’accusé ? Vous avez juré de dire la vérité.
— Je crois le reconnaître. J’en suis sûr.
Un témoin à décharge est ensuite interrogé, un garçon de 16 ans :
— J’ai été conduit à la mairie du 20e arrondissement; on voulait me forcer d’être de la garde nationale, on m’a gardé pour écrire au bureau, quand on a vu que je n’avais pas l’âge; à la commission militaire, un délégué disait: Tous les gendarmes et sergents de ville qui seront pris seront fusillés. Trinquet ne le veut pas, mais c’est égal.
*
L’image de couverture est celle que j’ai utilisée pour illustrer un article sur un truandage dans le registre des inhumations du cimetière de Charonne. Je n’y avais vu que les « deux corps inconnus » ajoutés (c’était le truandage). C’est Maxime Jourdan qui m’a alors fait remarquer que cette image montrait aussi l’inhumation, le 29 mai, au cimetière de Charonne, du mouchard dont il est question dans cet article, sous le nom d’Hippolyte Rothe (et bien avant que le frère soit venu lui faire faire un acte de décès avec son « vrai » nom). Merci à Maxime!
Livres utilisés
Troisième conseil de guerre, Procès des membres de la Commune, Versailles (1871).