Pendant qu’Alexis Trinquet est au bagne (voir l’article précédent), en France, en 1880, la bataille pour l’amnistie plénière bat son plein, sous des formes variées, de la publication du feuilleton La Semaine de Mai par Camille Pelletan dans La Justice (voir aussi l’introduction de l’édition Libertalia de son livre) jusqu’à… l’utilisation du nom d’Alexis Trinquet. En avril, on discute de sa candidature à un siège de député dans le Rhône. Deux des rédacteurs du journal L’Égalité, Jules Labusquière et Victor Marouk, publient une petite brochure, Le Forçat Trinquet, dans laquelle ils suggèrent de proposer la candidature de Trinquet à tout siège vacant.

En contribution à sa campagne pour l’amnistie plénière, La Justice publie, le 14 avril 1880, la lettre d’Alexis Trinquet à son épouse de mai 1877 que j’ai déjà citée. Elle a été lue au cours d’une réunion qui s’est tenue le dimanche 9 avril 1880 au cirque Ferrando et dont l’article de La Justice fait un compte rendu. Alexis Trinquet a été nommé président d’honneur. Le citoyen Moret s’est exprimé à propos d’un article publié par le journal La Patrie (le 4 avril) sous le titre « Le Bonnet vert au parlement », dans lequel on lit :

M. de Freycinet [le chef du gouvernement] qui, pourtant, n’est point dégoûté, a reculé d’horreur lorsqu’on a soumis à son approbation un décret de grâce concernant ce bandit.

Le citoyen Moret a lu la lettre de Trinquet et commenté:

Ne trouvez-vous pas, citoyens, dans cette simplicité quelque chose d’élevé? Cet homme, qui met une sourdine aux déchirements de son cœur pour ne point aggraver la douleur des siens, n’est-il point sublime quand il dit:

Au fond il n’y a rien de changé, il n’y a qu’une aggravation de peine que je supporterai avec patience et courage.

Eh bien ! citoyens, entre le bandit Trinquet et La Patrie, mon choix est fait. Citoyens, il appartient à une assemblée populaire de venger un des siens. Nous avons vu à toutes les époques néfastes pour la démocratie, a tous les moments où elle versait son sang le plus pur; en juin 1848, en décembre 1851, en mai 1871, La Patrie pousser à la répression à outrance. Les hommes ont changé, la tradition reste, et, aujourd’hui, après neuf ans, nous la retrouvons s’acharnant après les victimes.
Citoyens, il n’y a pas de paroles assez, énergiques pour flétrir un. pareil langage. Levons-nous ! et, debout, proclamons que Trinquet est un honnête homme, et que les injures de la Patrie sont infâmes ! (Cris : oui, oui ! L’assemblée entière se lève au cri de : Vive l’amnistie !)

Le 17, Julien Trinquet écrit une nouvelle lettre à Jules Grévy. Cette fois, son adresse est 52 rue de Ménilmontant. Le 28 avril, il est assesseur d’une réunion qui se tient à la salle des Tilleuls, 160 rue de Ménilmontant à laquelle assiste un policier. À un assistant qui dit que les candidats ouvriers ne valent pas mieux que les autres et se laissent corrompre par les opportunistes, il défend la candidature de son père, qui

tiendrait haut et ferme le drapeau du socialisme révolutionnaire.

Et voici une occasion, l’élection d’un conseiller municipal dans le vingtième arrondissement, en remplacement de Charles Quentin, élu par le quartier du Père-Lachaise et démissionnaire (parce qu’il a été nommé directeur de l’Assistance publique). Il y a un candidat « officiel », défendu par Gambetta, Victor Létalle. Contre lequel la candidature d’Alexis Trinquet est déclarée.

Cela réjouit, et mobilise les socialistes du vingtième arrondissement. Mais pas seulement, témoin la lettre d’Eugène Protot — en exil à Londres — à Jules Joffrin que publie Le Prolétaire du 19 juin, et qui se conclut par

Vous allez honorer et sauver Trinquet en le nommant conseiller municipal de Paris et bientôt député de Paris.

À suivre

*

L’image de couverture est la une de l’hebdomadaire Le Prolétaire, daté du 5 juin 1880. Ce journal n’est malheureusement pas sur Gallica. On y voit, sous la manchette, de gauche à droite, une candidature de Blanqui à une élection législative dans le département du Rhône, une condamnation du journal (se concluant par « tout commentaire serait superflu »), et l’annonce de la candidature du « forçat Trinquet » au siège libéré par Charles Quentin.

Sources

Toujours le dossier B a 1288 aux archives de la préfecture de police.

Livres utilisés

Pelletan (Camille), La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).

Labusquière (John) et Marouck (Victor)Le forçat Trinquet, Paris (1880).

Audin (Michèle)Rue des Partants, terres-de-feu (2024).