Tandis qu’Alexis Trinquet est toujours sur le Navarin, à Paris, la police continue à surveiller son fils Julien Trinquet. Voici un rapport du 21 décembre 1880:

Trinquet fils est frais, d’uns physionomie assez sympathique, il attend son père avec des manifestations de colère dans les conversations privées. Dans les réunions publiques il est généralement muet. Il se dérobe à la tribune et ne remplit ordinairement que les fonctions de président ou d’assesseur. Il fait partie de la libre pensée et est socialiste révolutionnaire anarchiste. Il est intelligent et travailleur.
Quand son père arrivera, tout cela peut-être pourra changer.

Le 7 janvier 1881, le Navarin arrive à Brest. Dès 11h35, Trinquet et quelques autres sont dans un train, qui arrive à la gare Montparnasse la nuit suivante à 4 heures du matin. Beaucoup de monde l’attend — dont quelques policiers, évidemment. Voici le rapport de l’un d’eux:

L’arrivée de Trinquet à la gare Montparnasse a eu lieu à 4h55 (train express) : dans son train se trouvaient Urbain, la femme Rousseau, Faure, Renaudot, Anselme, Bauthier, Després, Delalande. À la sortie, Trinquet, sa femme et son fils sont entourés par un certain nombre de personnes qui les entraînent chez Le Franc, marchand de vin, où se trouvaient déjà les membres du comité socialiste révolutionnaire du XXe arrondissement. Trinquet y a pris la parole:

Il remercie le Comité socialiste, le Comité d’aide, et tous ceux qui lui ont témoigné quelque sympathie, et plus particulièrement Asperge qui lui avait recommandé de prendre l’express en lui disant que tous les frais de son voyage lui seraient payés. Il déclare qu’il n’est pas seulement dévoué au comité révolutionnaire mais à la grande cause de la révolution sociale. »

Il a quitté l’établissement de Lefranc et est allé avec sa famille chez le frère de Vinot, marchand de vin, place de Rennes n° 3.

Alexis Trinquet se présente aux élections, au début de 1881. Sa première apparition publique est devant 1 200 personnes à la salle Graffard boulevard de Ménilmontant, selon le Moniteur universel du 12 janvier. Son fils Julien Trinquet et le boutonnier Alexandre Réties sont au bureau de la réunion. Au cours de cette réunion, quelqu’un vient annoncer la mort d’Albert Theisz. Le premier membre de la Commune mort à Paris après l’amnistie (voir, pour ses obsèques, cet article, et mon livre Josée Meunier 19 rue des Juifs). Et bien sûr, Alexis Trinquet fait partie des membres de la Commune qui ont assisté à ses obsèques.

Il n’est pas élu.

Il a dû encore répondre à une calomnie, et la presse publie sa protestation (20 janvier 1881) :

Un électeur du quartier de Charonne, aurait déclaré, dans une réunion, que, en 1876, j’avais écrit à un citoyen du quartier. te priant de demander grâce pour moi à M. Gambetta avec la promesse de ne plus m’occuper de politique.
Je donne le démenti le plus formel à ce citoyen (qui reste inconnu) […]
Je me suis pendant huit jours trouvé en présence de mes adversaires. Samedi 15, dernier jour de la période électorale, M. Rabagny accompagné d’un grand nombre de ses amis, assistait à notre réunion, c’était je crois le moment de m’attaquer, aucune allusion blessante ne me fut adressée.
Je considère cette accusation comme étant une manœuvre de la dernière heure et je regrette que mes adversaires ne m’aient pas fait l’honneur d’une attaque directe.
Dans la dernière réunion, j’ai affirmé la révolution communaliste et j’ai démontré par des déclarations très nettes qu’aucune modification n’était apportée à notre programme et par suite aucune concession au parti adverse.
Pendant près de dix années, j’ai été l’objet d’insultes dégoûtantes d’infamies plus ou moins lâches, car ma femme et mon fils n’ont même pas été respectés par la presse réactionnaire, J’aurais cru que, rentré à Paris je pouvais compter sur la bonne foi de mes adversaires, mais il parait que je suis un grand criminel envers lequel tout est permis.
Recevez, etc. 
A. TRINQUET.

Sources

Dossier B a 1288 aux archives de la préfecture de police.

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Quant à l’image de couverture… ce n’est pas le Navarin mais le Var, ce n’est pas à Brest mais à Port-Vendres (voyez les montagnes), ce n’est pas en janvier mais en août ou septembre (voyez les ombrelles) et d’ailleurs ce n’est pas en 1881 mais en 1879… ce n’était pas une amnistie plénière mais une grâce amnistiante, mais ce sont des amnistiés qui arrivent de Nouvelle-Calédonie et c’est la seule image que j’ai trouvée, dans Le Monde illustré, le 13 septembre 1879.

Livres cités

Audin (Michèle)Josée Meunier 19 rue des Juifs, L’arbalète-Gallimard (2021).