Pour célébrer (non pas l’arrivée de la Toussaint et du jour des morts, comme la date de publication de cet article pourrait le laisser croire mais) la mise en ligne par les Archives de Paris des registres d’inhumation des cimetières parisiens, je suis allée faire un tour, un matin de septembre, au Père-Lachaise. Pas au Mur des fédérés, mais à la recherche de la tombe d’Albert Theisz.
Janvier 1881
Albert Theisz (je renvoie à une brève biographie sur ce site et à la notice du Maitron), ouvrier bronzier, élu à la Commune de Paris et qui a fait fonctionner la poste à Paris pendant la Commune, est mort d’anémie, à Paris, le 10 janvier 1881. Il était ainsi le premier membre de la Commune à mourir, à Paris, après l’amnistie des communards (pour mémoire, le 11 juillet 1880).
Il n’avait que quarante et un ans.
Il a été enterré au cimetière parisien de Saint-Ouen (la ville de Paris possède plusieurs cimetières « extra-muros »). Sa famille, ses amis, moins de monde qu’aux obsèques de Blanqui quelques jours avant, mais beaucoup de monde quand même, ont suivi le cortège funèbre. Il y a eu des discours, dont celui de Charles Longuet (publié par La Justice)… et des rapports de police, grâce auxquels nous savons qu’il y avait plus de deux mille personnes dans le cimetière après les discours.
(Comme toujours, vous pouvez cliquer sur l’image pour l’agrandir, le nombre 41 désigne l’âge, les autres nombres sont des numéros d’ordre. N’hésitez pas à aller regarder le registre sur le site des Archives de Paris, en suivant le lien au début de cet article.)
Pendant les années d’exil, qu’Albert Theisz avait passées à Londres, sa mère Caroline Stober, puis son père Félix Theisz, sont morts. Ils ont été enterrés à Saint-Ouen. Ainsi que son beau-frère, Philippe Lanaux (mari de sa sœur Angelina), mort le 31 juillet 1880.
Mais alors, qu’allai-je donc chercher au Père-Lachaise?
Juillet 1881
Pour une raison ou pour une autre, les quatre corps de Caroline, Félix, Philippe et Albert ont été exhumés pour être réinhumés au Père-Lachaise le 20 juillet 1881. l’image suivante vient de la page de droite du registre, en face de la précédente (qui est un morceau de la page de gauche).
Le cimetière de l’Est, c’est le Père-Lachaise. Dont le registre porte, lui aussi, la trace de la réinhumation, voici un fragment de la page de gauche.
Et un de la page de droite.
Sur lequel on lit différentes abréviations, décryptées en:
Caveau 79e division 1ère ligne face la 81e division, n°41 à partir de la 72e division.
Ce qui est l’emplacement exact de la tombe, ses coordonnées, comme disent les mathématiciens, ainsi que je me le suis fait confirmer par une employée du cimetière (que je remercie ici). Et donc, le caveau dans lequel Albert Theisz, ses parents, son beau-frère et je suppose toute la famille de sa sœur Angelina sont enterrés est celui que montre la photographie en couverture de cet article.
Deux commentaires sur cette photographie:
- Une fille d’Angelina Lanaux a épousé un M. Guériaux, d’où le Guériaux Lanaux sur la pierre. Qui, bien sûr, est plus récente que l’inhumation de 1881 dont il est question ici.
- Malgré le symbole religieux, je vous rassure, l’enterrement d’Albert a été un enterrement civil. Information garantie par la préfecture de police de Paris.
Mai 1871
Albert retrouvé, je me suis souvenue de son frère Félix, blessé à mort sur une barricade et enterré le 8 mai 1871 au cimetière Montmartre — sous les obus versaillais.
Albert Theisz avait refusé l’aide financière proposée par la Commune et son grand frère (Félix avait déjà 42 ans en 1871) a été enterré dans une fosse commune, « tranchée gratuite », dans le langage officiel des cimetières.
On ne peut pas s’arrêter comme ça.
Ce même jour, le 8 mai 1871, le registre nous apprend qu’on a mis, dans cette même tranchée gratuite, trois bébés des deux sexes, deux femmes et sept hommes. Les deux femmes avaient 76 et 19 ans.
La moyenne d’âge des hommes était de 35 ans.
Statistiques de guerre.
Ce qui m’a donné l’idée de « tourner », si j’ose dire, les pages. Et qui est donc à l’origine d’une prochaine série d’articles, sur les morts et… le révisionnisme.
Sources
Les registres d’inhumations, en ligne aux Archives de Paris (voir les liens en début d’article). Les images sont des copies d’écran desdits registres. Sauf la photographie, que j’ai prise au Père-Lachaise le 17 septembre 2019.
Le dossier Ba 1279 aux archives de la Préfecture de police.
Laurent (Benoît), La Commune de 1871. Les postes, les ballons, le télégraphe, Lucien Dorbon, Paris (1934).