Suite de mon introduction à La Semaine de Mai de Camille Pelletan et des articles précédents.
Recherche historique, le livre repose sur des sources sérieuses. J’ai particulièrement étudié, pour écrire La Semaine sanglante, celles du décompte des morts. Car parler des massacres oblige, inévitablement, à compter les morts. Alors que Ducamp a disposé d’informations officielles, centralisées (et tronquées) fournies par Alfred Feydeau (à la direction des cimetières), Camille Pelletan, lui, a recouru à des informateurs variés (selon les cimetières). Une étude un peu soigneuse confirme la crédibilité de beaucoup de ses interlocuteurs (voir La Semaine sanglante) et rend aujourd’hui nécessaire la réédition, enfin, de ce livre.
Car, plus incroyable encore que l’absence de toute recherche sérieuse sur ce sujet avant La Semaine de Mai, il y a l’absence de recherches sur la Semaine sanglante après ce livre. Et, corollairement, l’absence de réédition du livre. Soyons précise : il y a eu une réédition en 1889. Comme on le verra ci-dessous [un de nos articles suivants] dans la préface à cette deuxième édition, il s’agissait d’un nouveau combat politique, celui contre le général Boulanger — une extrême-droite populiste hélas soutenue par certains anciens communards — qui avait participé à la répression de 1871.
Et c’est tout.
Plus rien depuis.
Je suppose que le livre a été lu par les spécialistes dans les bibliothèques. Depuis quelques années, il est disponible en ligne (sur Gallica) et c’est ainsi que je l’ai moi-même abordé.
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Ce que je veux essayer de montrer maintenant, c’est que l’absence de réédition de ce livre accompagne, en toute cohérence, l’absence de recherches sur la Semaine sanglante.
Voyons d’abord quand et comment il a été (ou n’a pas été) cité.
Malgré la carrière politique de Camille Pelletan (député radical dès 1881, sénateur plus tard, et même ministre de la marine en 1902), son livre a été cité par ceux qui faisaient un usage politique de la Commune, au moins jusqu’à l’époque du centenaire.
Du côté de chez Marx, on en trouve de larges extraits dans La Commune de Paris, petit livre publié par l’Internationale communiste et préfacée par Zinoviev en 1920). Ces pages sont traduites en allemand et publiées, après de larges extraits de La Guerre civile en France (de Karl Marx), dans la partie consacrée à la Commune de Paris d’une livraison de 1921 du périodique Die Kommunistische Internationale (publié à Hambourg). Talès le cite et le copie (dans un livre préfacé par Trotski). Les pages sur la mort de Varlin ont été régulièrement reproduites dans les journaux à la fin de mai à l’occasion de « l’anniversaire de la Semaine sanglante », ainsi que l’on appelait les célébrations de la Commune. Le directeur de L’Humanité communiste, Marcel Cachin, l’appréciait particulièrement. Voici le début de son éditorial « Avec les assassinés de la Semaine de Mai », le 3 juin 1928 :
La fin de la Commune de Paris dans les derniers jours de mai 1871 […] a été rappelée jadis par Camille Pelletan dans une brochure [sic] désormais introuvable et intitulée La Semaine de Mai. On la rééditerait utilement.
Pelletan était l’un des chefs du parti radical-socialiste d’autrefois, un ancêtre, un attardé des temps héroïques de la vraie petite bourgeoisie de gauche qui disparaît. Il écrivit sur les tueries sauvages des Versaillais des pages émouvantes où étaient flétris les crimes de Thiers, de Galliffet et des officiers blancs de ces temps mauvais. On ne trouverait plus aujourd’hui un seul bourgeois capable de publier une ?uvre de cette inspiration et de cette portée.
Il y est souvent revenu. Le revoici, vingt et un ans après, le 28 mai 1949, toujours dans L’Humanité, sous le titre La Semaine de Mai :
La meilleure histoire de la dernière semaine de l’existence de la Commune a été écrite par un démocrate français de grande ligne, par un républicain non socialiste qui a fait preuve d’une impartialité et d’une objectivité indiscutées. Le livre de Camille Pelletan sur la Semaine de Mai est aujourd’hui presque introuvable. C’est dommage.
Mais il n’y a pas que les marxistes et le parti communiste. Voici les anarchistes, sous la plume de Louis Ander dans Le Libertaire, le 24 mai 1935 :
[…] nous avons voulu donner sur les massacres accomplis par les bourreaux versaillais […] les pages suivantes que nous avons extraites du livre de Camille Pelletan La Semaine de Mai. L’auteur qui, comme on sait, devint par la suite ministre radical et un des piliers de la Troisième République, ne peut être suspecté de partialité favorable aux Communards. C’était simplement un honnête homme écœuré lui-même des ignominies perpétrées en cette horrible semaine par les gens de sa classe au nom de l’ordre.
Le même journal cite encore le livre de Camille Pelletan le 24 mai 1946.
À part Le Populaire, qui ne cite pas le livre, je n’ai pu consulter que ces deux journaux (et seulement jusqu’en 1950). Il semble que communistes (orthodoxes) et anarchistes étaient d’accord sur l’intérêt de ce livre.
Livres cités
Audin (Michèle), La Semaine sanglante. Mai 1871.
La Commune de Paris, Actes et Documents, Épisodes de la Semaine sanglante, préface de G. Zinoviev, Éditions Clarté (1921).
Marx (Karl), La Guerre civile en France, Édition nouvelle accompagnée des travaux préparatoires de Marx, Éditions sociales (1972).
Talès (C.), La Commune de 1871 (avec une préface de Lon Trotski), Librairie du travail (1924).