Suite de l’article précédent.
Sur ce site, nous avons vu Eugène Gérardin être élu à la Commune le 26 mars par le quatrième arrondissement, ainsi qu’Arthur Arnould, Gustave Lefrançais, Adolphe Clémence et Charles Amouroux. Il a obtenu 8 104 voix, ce qui en faisait le quatrième élu, mais il est remarquable que tous les cinq ont fait des scores assez semblables, de 8 608 voix pour Arnould à 7950 pour Amouroux — ce n’était pas le cas dans tous les arrondissements !
Gustave Lefrançais n’a pas beaucoup changé d’avis, qui dit maintenant d’Eugène Gérardin qu’il
est d’un caractère froid, concentré. Il est assez difficile de savoir ce qu’il pense au point de vue politique et social.
Jules Clère, qui a écrit quelques semaines (dont une sanglante) plus tard un livre méchant sur « les hommes de la Commune », l’a décrit physiquement — gentiment —
Eugène Gérardin est un ouvrier dont les cheveux grisonnent et qui paraît avoir vieilli dans le travail et dans la lutte contre la misère.
Un autre auteur, Delion, l’a appelé « le vieillard ». Il n’avait pourtant que 44 ans en 1871. Nous verrons son signalement dans un autre article.
En tout cas, il a participé à la commission travail et échange, ce qui lui allait très bien.
Il a voté contre le Comité de salut public le 30 avril et il a signé le manifeste de la minorité le 15 mai. Il est peu intervenu à la Commune, mais il l’a fait le 19 mai, et je vais citer ses interventions ce jour-là. Il s’agissait des suites de la monstrueuse explosion de la cartoucherie Rapp le 17 mai (voir mon article du 18 mai 2021). C’était donc le 19 mai 1871, nous savons que c’était l’avant-dernière séance de la Commune, mais il eux ne le savaient pas. Le président (c’était Dominique Régère) a lu une proposition d’Amouroux. Essentiellement :
Il sera fait application aux parents des victimes de l’explosion de la cartoucherie de l’avenue Rapp du décret du 10 avril 1871, concernant les veuves et les orphelins.
(L’image de couverture est une affiche, justement signée par nos élus du 4e arrondissement en avril, à propos de ce décret.) Une discussion s’est engagée, les personnes qui ont été tuées aux environs de la cartoucherie devaient-elles être comprises dans ce décret ? — oui, ont dit les uns, — après enquête, a dit Jean-Baptiste Clément, — non, a dit Urbain, pour ceux-là, il faut faire une souscription. Amouroux a défendu son projet, — le décret du 10 avril est général. Et voici Eugène Gérardin :
Pour moi, les familles des gens qui sont en relations avec Versailles ne doivent pas bénéficier de ce décret, c’est évident. Mais si un père de famille, de 50 ans par exemple, meurt en laissant un enfant, vous serez bien obligés de pourvoir aux besoins de ce dernier. Toutes les victimes de l’explosion méritent des secours de la Commune.
Il y a encore eu des protestations, — souscription, — non, pas de souscription, Amouroux a relu le décret du 10 avril. Mais, a dit Gérardin :
Je ferai observer que le décret parle bien de citoyens, mais ne dit pas : les citoyennes. Si bien qu’il pourrait arriver qu’une citoyenne blessée à la cartoucherie ne pût pas profiter des dispositions du décret.
Merci, citoyen Gérardin, cette remarque me va droit au cœur. Amouroux lui a répondu, en gros, que le citoyen est un terme générique qui embrasse la citoyenne. Si, si. Bon, d’accord, pas en ces termes exacts. Et la proposition a été adoptée. Eugène Gérardin est intervenu à nouveau, à propos des quêtes, pourtant interdites :
Il ne faut pas de mendicité. L’Empire n’a su faire que des mendiants ; la République doit faire des hommes.
Eh bien, il ne parlait pas beaucoup, mais il parlait juste !
À suivre
*
L’image de couverture vient du musée Carnavalet.
Livres utilisés
Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).
Clère (Jules), Les Hommes de la Commune, biographie complète de tous ses membres, Dentu (1871).
Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel), Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).