Nous avons lu Le Rappel du 27 octobre 1872. Voici celui du 5 décembre de la même année.
Hier a eu lieu, au cimetière Montmartre, l’inauguration du monument élevé par souscription à Baudin, l’assassiné du coup d’Etat.
Dans les circonstances présentes, on avait cru devoir éviter toute manifestation qui aurait pu servir de prétexte aux monarchistes pour calomnier les républicains. La famille et quelques amis seulement avaient été prévenus.
Nous avons, il y a un mois, lors de l’inhumation du corps, décrit le socle et la statue. Le socle, dû à M. Léon Dupré, se compose d’une plateforme en granit de Normandie, formant gradins, et d’une pierre tombale, monolithe, en granit de Flandre. Ce socle porte l’inscription suivante :
À ALPHONSE BAUDIN
Mort en défendant le Droit et la Loi,
Le 3 décembre 1851
Ses Concitoyens.
La statue, en bronze, est de M. Aimé Millet. Baudin, étendu sur un lit de marbre, meurt en touchant de sa main droite les tables de la loi, brisées, et de sa main gauche ses insignes de représentant du pays. Cette statue, dont la tête a la ressemblance d’un portrait, est d’un caractère énergique et saisissant.
Il y a vingt et un ans, Baudin tombait, et l’empire s’élevait. Puis, le clergé a chanté ses Te Deum, et la magistrature a rendu la justice au nom de l’auteur du guet-apens. Cela a duré des années. L’armée française a remporté en Crimée et en Italie des victoires que s’est attribuées l’homme de Décembre. L’empire, alors, semblait immortel, et Baudin semblait bien mort.
Tout-à-coup, il y a eu comme un tressaillement dans la fosse qu’on avait-creusée à ce martyr du droit; il en est sorti, quoi? presque rien, un nom, une ombre ; et devant cette ombre, ce tout-puissant empire qui avait pour lui le clergé, la magistrature, les fonctionnaires, les généraux, les canons, tout, — s’est senti chanceler.
Et, à l’heure qu’il est, c’est l’empire qui est mort, et c’est le mort qui est vivant. Il ne vit pas seulement dans cette statue que lui dressent ses concitoyens ; il vit mieux qu’en personne et dans sa chair, il vit dans cette République à laquelle il a donné sa vie, dans cette République assassinée avec lui qu’il a contribué à ressusciter.
Le monument est un beau gisant, que l’on peut toujours voir au cimetière Montmartre. Même si les restes de Baudin ont été à nouveau déplacés en 1889. Mais avant cela, il y a la plaque 151 Faubourg-Saint-Antoine. Elle a été scellée en novembre 1879 sur une des plus anciennes maisons du faubourg, selon Le Gaulois du 21 novembre 1879. Si certains ont pu trouver que l’immeuble était vieux et fragile, rassurons-nous, il est toujours là, cent quarante-cinq ans après, et la plaque aussi.
Et ce n’est pas terminé, donc, puisque, le 3 août 1889, les restes de Baudin sont déplacés encore une fois, la dernière je suppose puisqu’ils sont transportés au Panthéon, comme le raconte Le Rappel daté du 3 août. La tombe au cimetière Montmartre devient ainsi un cénotaphe.
Et puis il y a la statue. C’est à l’initiative de fabricants de meubles du faubourg qu’une statue de bronze est commandée à un sculpteur en 1901. Celui-ci, Eugène Boverie, était lui-même issu du faubourg puisque ses parents tenaient le magasin au n° 100, au carrefour de l’avenue Ledru-Rollin. Cette adresse explique sans doute l’emplacement choisi, à proximité immédiate, à l’angle de la rue Traversière et de l’avenue. Pas vraiment à l’emplacement de la « barricade Baudin » et à un endroit d’où on ne voit pas le génie de la Liberté. Pour être tout à fait complète, je dois signaler qu’une statue de Baudin en bronze avait déjà été érigée à Nantua, sa ville natale, en 1888 — avant le Panthéon, donc.
L’une comme l’autre, ces deux statues ont été, en 1942, transformées en douilles pour l’armée allemande, grâce à la diligence des dirigeants français — voir ce que j’ai déjà écrit sur la statue de Voltaire. Comme on le voit sur la photo de couverture (que j’ai trouvée au Musée d’Orsay), elle était bien là en 1910…
Plus tard, il a été question d’en refaire une, mais non… il y a quand même une petite rue Alphonse-Baudin dans le onzième arrondissement, entre les métros Saint-Sébastien-Froissart et Richard-Lenoir — assez loin de la « barricade Baudin ».
De cette histoire, la seule trace sur les lieux où elle s’est passée est la plaque du 151 — voir la photographie sur le premier article de cette série.