Selon le programme de l’article précédent, voici une première vague des aventures de Vésinier.

Pierre Vésinier, né à Mâcon le 5 juillet 1824, apparaît dans la vie politique à Cluny, où son père est huissier, en décembre 1851, en opposant au coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte. Le voici dans Le Courrier de Saône et Loire, le 10 décembre 1851 :

À Cluny […] on s’empara de la mairie, des fusils qui y étaient déposés, et qu’une razzia complète d’armes, de munitions, de comestibles et de vin fut opérée avec menaces et mauvais traitements dans les maisons particulières. La brigade de gendarmerie, assaillie à l’improviste, fut dépouillée de ses armes et de ses chevaux. Le lendemain, les chevaux ont été retrouvés à jeûn, fourbus et couverts de blessures.
Après avoir installé pour maire le nommé Vésinier fils, et avoir placé des postes à la mairie et dans divers points de la ville, les insurgés, fidèles à leur coutume, pillèrent les caisses publiques. 

Selon un des ineffables rapports que l’on trouve aux archives de la préfecture de police, c’est déguisé en femme qu’il a quitté Cluny pour la Suisse. En tout cas il est parti en Suisse, puis en Belgique et en Angleterre.

Il a écrit des livres, pamphlets anti-Napoléon III, comme L’Histoire du nouveau César ou Le Mariage d’une Espagnole, qui sont parus à Londres ou à Bruxelles en 1865 et 1866 et dont le journal La Rive gauche a publié des extraits, il a été poursuivi en Belgique pour offenses envers Napoléon III. À cette époque est apparue la mention du fait qu’il était un ancien secrétaire d’Eugène Sue (mais je n’ai pas essayé de savoir si, où et quand ils s’étaient rencontrés — en tout cas Sue était mort depuis 1857 et ne pouvait démentir).

Je ne suis pas bien ses allers et retours entre Londres et Bruxelles. Toujours est-il que, apparemment depuis le 19 septembre 1865, il était membre de l’Association internationale des travailleurs. De sorte qu’il a participé à la conférence de Londres quelques jours après. Il y a attaqué les représentants français (dont il n’était pas, puisque appartenant à une « branche française de Londres »), Limousin, Fribourg, Tolain et Varlin (voir cet article, dont je réutilise ici la photo de couverture) en les accusant de bonapartisme. Raison sans doute pour laquelle Marx a recommandé à Jung, le 20 novembre :

N’oubliez pas de demander un rapport officiel sur Vésinier.

Non content du peu d’auditeurs de ces accusations, Vésinier les a répétées dans le journal belge L’Espiègle, dans ce que Marx a qualifié de « misérable intrigue » (dans une lettre à Engels le 15 janvier 1866) et Tolain, Fribourg, Limousin et Varlin de « pamphlet idiot » (dans le journal lui-même), Vésinier s’est acharné :

L’accusation de bonapartisme, qui soulève ici bien tardivement votre courroux, je vous l’ai portée alors en face, et vous ne m’en avez pas demandé raison. Ne seriez-vous courageux qu’à distance et seulement après quatre mois de réflexion ? […] Ne pouvant, pour cause politique, aller à Paris vous infliger le châtiment physique que mérite l’outrage qui termine votre lettre, je vous en demande réparation.

Évidemment, les Parisiens ne se sont pas battus en duel avec Vésinier…

Longtemps j’ai cru que c’était pour son aspect physique qu’il était détesté (voir l’article précédent). Mais en effet, on le voit, et ce n’est pas terminé, il était agressif, médisant, querelleur…
Tant et si bien que le congrès de Bruxelles (en 1868) l’exclut de l’Association internationale des travailleurs, qu’il se fâche avec les amis de La Rive gauche, à commencer par Charles Longuet, etc., etc. — Charles Longuet, qu’il déteste désormais à mort.

« Le sinistre Vésinier », « journaliste maître chanteur », ainsi le voit-on qualifié dans la correspondance de Marx en cette année 1868. Où Vésinier publiait (en Belgique) un hebdomadaire, La Cigale (dont quelques numéros sont sur Gallica et dont je ne vois pas comment le titre pourrait être autre chose qu’une réponse à La Fourmi, auquel avait collaboré Varlin et qui n’avait eu qu’un numéro).

À suivre

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Comme je l’ai dit, j’ai déjà « sourcé » et utilisé la photo de couverture dans un article plus ancien.

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J’ai utilisé le dossier Ba 1293 aux Archives de la préfecture de police.

Livres utilisés

Marx (Karl) et Engels (Friedrich)Correspondance, Éditions sociales (1985).

Varlin (Eugène), Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).