Deux éditoriaux:

  • Celui, signé par Jules Vallès, dans Le Cri du peuple du 27 mars 1871 (daté 28 mars), sous le titre « Le 26 mars »,

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Quelle journée !

Ce soleil tiède et clair qui dore la gueule des canons, cette odeur de bouquets, le frisson des drapeaux! le murmure de cette révolution qui passe, tranquille et belle comme une rivière bleue, ces tressaillements, ces lueurs, ces fanfares de cuivre, ces reflets de bronze, ces flambées d’espoir, ce parfum d’honneur, il y a là de quoi griser d’orgueil et de joie l’armée victorieuse des Républicains!

Ô grand Paris !

Lâches que nous étions, nous parlions déjà de te quitter et de nous éloigner de tes faubourgs qu’on croyait morts !

Pardon, patrie de l’honneur, cité du salut, bivac de la Révolution !

Quoi qu’il arrive, dussions-nous être de nouveau vaincus et mourir demain, notre génération est consolée ! — Nous sommes payés de vingt ans de défaites et d’angoisses.

Clairons, sonnez dans le vent, tambours, battez aux champs !

Embrasse-moi, camarade, qui a comme moi les cheveux gris ! Et toi, marmot, qui joue aux billes derrière la barricade, viens que je t’embrasse aussi !

Le 18 mars te l’a sauvé belle, gamin ! Tu pouvais, comme nous, grandir dans le brouillard, patauger dans la boue, rouler dans le sang, crever de honte, avoir l’indicible douleur des déshonorés !

C’est fini !

Nous avons saigné et pleuré pour toi. Tu recueilleras notre héritage. Fils des désespérés, tu seras un homme libre ! »

  • Celui, signé collectivement par « Le Cri du peuple », le 29 mars (numéro daté du 30), sous le titre « La fête »,

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La Commune est proclamée.

Elle est sortie de l’urne électorale, triomphante, souveraine et armée.

Les élus du peuple sont entrés dans le vieil Hôtel de ville qui a entendu le tambour de Santerre et la fusillade du 22 janvier, sur cette place où le sang des victimes de l’honneur national et de la dignité parisienne vient d’être essuyé par la poussière soulevée en ce jour de fête sous les pas des bataillons victorieux.

On n’entendra plus le roulement du tambour de Santerre ; les fusils ne brilleront plus aux fenêtres de l’hôtel communal et le sang ne tachera plus la place de Grève si nous le voulons.

Et nous le voudrons, n’est-ce pas citoyens ?

La Commune a été proclamée.

L’artillerie sur les quais tonnait ses salves au soleil qui dorait leur fumée grise sur la place. Derrière les barricades, où se tenait debout une foule : hommes saluant du chapeau, femmes saluant du mouchoir, le défilé triomphal, les canons, les canons abaissant leurs gueules de bronze, humbles et paisibles, craignant de menacer la foule joyeuse.

Devant la façade sombre, dont le cadran a sonné tant d’heures qui sont maintenant des siècles, et vu tant d’événements qui sont aujourd’hui l’histoire, sous ces fenêtres peuplées d’assistants respectueux, la Garde nationale défilait lui jetant les vivats de son enthousiasme tranquille et fier.

Au-dessus de l’estrade se tenaient les élus du peuple – braves gens à la tête énergique et sérieuse ; le buste de la République, qui se détachait blanche sur la tenture rouge, regardait, impassible, reluire cette moisson de baïonnettes étincelantes, au milieu de laquelle frissonnaient les drapeaux et les guidons aux couleurs éclatantes, tandis que montaient dans l’air le bourdonnement de la cité, les bruits du cuivre et de la peau d’âne, les salves et les acclamations.

La Commune est proclamée dans une journée de fête révolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, d’ivresse et de solennité, de grandeur et d’allégresse, digne de celles qui ont vu les hommes de 93 et qui console de vingt ans d’Empire, de six mois de défaites et de trahisons.

Le peuple de Paris, debout en armes, a acclamé cette Commune, qui lui a épargné la honte de la capitulation, l’outrage de la victoire prussienne et qui le rendra libre comme elle l’eût rendu vainqueur.

Que n’a-t-elle été proclamée le 31 octobre ! N’importe ! Morts de Buzenval, victimes du 22 janvier, vous êtes vengés maintenant !

La Commune est proclamée. Les bataillons qui, spontanément, débordant des rues, des quais, des boulevards, sonnant dans l’air les fanfares des clairons, faisant gronder l’écho et battre les cœurs avec les roulements du tambour, sont venus acclamer et saluer la Commune, lui donner cette promulgation souveraine de la grande revue civique qui défie Versailles, remontent l’arme sur l’épaule vers les faubourgs, remplissant de rumeurs la grande ville, la grande ruche.

La Commune est proclamée.

C’est aujourd’hui la fête nuptiale de l’idée et de la révolution.

Demain citoyen-soldat pour féconder la Commune acclamée et épousée la veille, il faudra reprendre, toujours fier, maintenant libre, sa place à l’atelier ou au comptoir.

Après la poésie du triomphe, la prose du travail.