Pour écrire cet article, j’ai abondamment utilisé le livre La Revanche des communeux, de Jean-Baptiste Clément.

Le thème « la Commune et le Mont-de-piété » est exemplaire de la façon parfois désastreuse dont l’assemblée communale a fonctionné.

Qu’est-ce que le Mont-de-piété ? C’est une institution privée, avec des actionnaires. Qui faisait des bénéfices. En 1869, 784 736,53 francs. Un chiffre d’affaires annuel de 25 millions.

Le Mont-de-piété contribuait au financement de l’Assistance publique, qui « soutenait » les indigents. Le soutien aux indigents, c’était donc donner deux sous à des pauvres à qui on en avait pris quarante.

Voici, en effet, comment fonctionnait l’institution. Vous avez besoin d’argent, par exemple pour acheter du pain et nourrir vos enfants. Vous apportez au Mont-de-piété un objet, qui a coûté, disons, 20 francs. Ici j’ouvre une parenthèse: « le » Mont-de-piété, c’est le siège, rue des Blancs-Manteaux, avec une succursale rue Bonaparte, mais c’est aussi vingt bureaux auxiliaires et autant de bureaux tenus par des commissionnaires. C’est donc « près de chez vous ». Fin de la parenthèse. Vous êtes là, avec votre objet. On vous le prend et on vous prête 3 ou 4 francs. Vous pourrez le « désengager » moyennant un intérêt de 12 à 15 %. Si vous ne le désengagez pas à temps, votre objet sera tout simplement vendu aux enchères.

On apporte des hardes, des objets de première nécessité. La suprême ressource, c’était le matelas…

À l’époque qui nous intéresse, un million d’objets s’entassent dans la division des hardes des bureaux de la rue des Blancs-Manteaux. Au cours d’un hiver particulièrement rigoureux, la faim put faire que quatre-vingt mille couvertures de lit ne purent pas protéger autant (ou plus) de pauvres du froid, puisqu’elles étaient engagées et stockées dans les Monts-de-piété.

Ces exemples permettent d’imaginer que la question des Monts-de-piété était extrêmement sensible pour les populations pauvres de Paris. On pourrait même s’étonner qu’il n’y ait pas eu de tentative de s’emparer tout bonnement des Monts-de-piété.

J’ajouterai que, sur 1000 engagements, 730 étaient faits par des ouvriers. Sur un million et demi de prêts annuels, les deux tiers, c’est-à-dire un million, étaient des prêts de 3 à 10 francs.

Après l’hiver rigoureux et le siège, le chômage avait accru la misère et il y avait une réelle urgence à se préoccuper de cette question. Ce qu’a fait la Commune, au cours de sa première séance, c’est simplement de suspendre les ventes (voir l’article sur cette première séance). Le décret a été adopté sans discussion le 29 mars.

Ce décret fut un soulagement. Mais il peut aussi être considéré comme tout à fait nul : il ne rend aucun des objets de première nécessité qui ont été engagés.

Il fallait faire davantage, et les citoyens le réclamaient. Pourtant, c’est seulement le 25 avril que la Commune commença à discuter plus sérieusement la question.

Un projet de décret, qui permettrait de retirer tous les objets de moins de 50 francs, est présenté par Avrial (élu du onzième). Il a été préparé par plusieurs membres de la Commune, dont Jean-Baptiste Clément et Simon Dereure (élus du dix-huitième).  Voici une partie de l’argumentation d’Avrial.

Le peuple, qui a mangé du pain noir, a le droit qu’on lui tienne compte de ses souffrances, et, pour le satisfaire par des mesures légitimes, il ne faut pas qu’on s’arrête à quelques millions. L’institution du Mont-de-piété doit disparaître; en attendant, il faut donner une première satisfaction aux braves qui vont se battre.

Eh oui, ils vont se battre. Pendant que leurs élus discutent. Depuis le 2 avril, c’est la guerre à nouveau.

Une discussion longue et oiseuse suit la proposition. Certains craignent de voir des spéculateurs profiter du décret, d’autres ou les mêmes de ce que vont dire les finances, on se demande s’il faut payer les actionnaires, etc., etc. La vraie question, « sommes-nous là pour commencer la liquidation sociale ? » n’est pas abordée.

Et la décision est remise.

Pourtant, la Commission du travail et de l’échange a terminé la rédaction d’un rapport remarquable sur la liquidation des Monts-de-piété, que le Journal Officiel a publié dans son numéro du 1er mai (que l’on trouve ici). En voici la conclusion:

Il est bien entendu qu’à la liquidation du mont-de-piété doit succéder une organisation sociale qui donne au travailleur des garanties réelles de secours et d’appui, en cas de chômage et de maladie. Certes, la suppression de cette institution ne devra causer aucune appréhension à qui que ce soit, et, nous devons en être bien convaincus, l’établissement de la Commune commande de nouvelles institutions, réparatrices, susceptibles de mettre le travailleur à l’abri de l’exploitation par le capital, à l’abri des nécessités d’emprunts usuraires, et d’installer à son foyer le calme et la tranquillité qui retrempent le courage et moralisent l’individu.

La question revient à l’ordre du jour le 3 mai, mais elle est à nouveau reportée, parce qu’elle n’arrive qu’à la toute fin de la séance.

C’est donc onze jours après, le 6 mai, que le projet de décret est vraiment discuté. Entretemps, la Commune a eu pas mal de choses à faire, comme on l’apprendra dans les procès verbaux de la Commune ou, de façon plus littéraire et plus vivante, dans le livre de Jean-Baptiste Clément, dont la colère, quinze ans après, était intacte !

Leo Frankel, le délégué responsable du rapport sur la liquidation, admet lui-même que ce rapport est à plus longue échéance, qu’il ne s’agit pas d’une liquidation immédiate:

Quand nous aurons réformé notre état économique, on pourra liquider cette situation, mais pour réformer l’état économique, il faut réformer le travail.

Après quoi, on cause, on cause, on se pose des questions cruciales, les livres sont-ils des instruments de travail (ce qui est quand même une excellente question…), faut-il inclure, parmi les objets à rendre d’urgence, les anneaux de mariage, etc., etc. Pour finalement accoucher du décret :

La Commune décrète :

Art. 1er. – Toute reconnaissance du Mont-de-piété antérieure au 25 avril 1871, portant engagement d’effets d’habillement, de meubles, de linge, de livres, d’objets de literie et d’instruments de travail, ne mentionnant pas un prêt supérieur à la somme de 20 francs, pourra être dégagé gratuitement à partir du 12 mai courant.

Art. 2. – Les objets ci-dessus désignés ne pourront être délivrés qu’au porteur, qui justifiera, en établissant son identité, qu’il est l’emprunteur primitif.

Art. 3. – Le délégué aux finances sera chargé de s’entendre avec l’administration du Mont-de-piété, tant en ce qui concerne le montant de l’indemnité à allouer que pour l’exécution du présent décret.

… après le vote duquel, Jean-Baptiste Clément s’en souvenait, personne n’avait eu l’idée ni le cœur de crier «Vive la Commune!».

On peut l’imaginer, les intéressés ne sont pas contents. Par exemple, le Club de la Révolution, qui se tient dans « l’ancienne église Bernard », rue Affre, dans le dix-huitième, vote le 13 mai le retrait du décret et son remplacement par:

Les objets déposés au Mont-de-piété seront rendus gratuitement; y auront seuls droit les défenseurs de la cité, ainsi que les citoyennes mères, filles, sœurs, épouses et femmes des citoyens morts pour la défense de Paris, qui justifieraient de leurs droits.

Tout porteur d’une reconnaissance achetée sera passible de l’amende et de l’emprisonnement, et verra sa reconnaissance saisie.

Ce qui ne changera rien, bien sûr.

Livres utilisés

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Clément (Jean-Baptiste)La Revanche des communeux, Jean Marie (1886-87).

Delvau (Alfred), Le Mont-de-piété, la prostitution, la misère, in Paris-Guide, Lacroix, Verbockhoven et Cie (1867).