Cet article est une interview de Jean-Pierre Theurier, qui organise des parcours communards dans Paris, et qui, en juin dernier, est allé à Versailles…
MA.– Jean-Pierre, tu es allé parler de la Commune à la prison pour femmes de Versailles.
JPT.– Les détenues purgent des peines courtes, en attente de jugement, ou ne dépassant pas 18 mois. Un instituteur, qui travaille depuis seize ans en milieu carcéral, tente d’apporter une ouverture vers la culture à ces femmes, qui en sont généralement très éloignées, par leurs origines sociales ou ethniques, et par un parcours scolaire souvent chaotique. Chacune de ces femmes est pour lui une énigme et un défi. Le fossé culturel peut être important : certaines ne supportent même pas d’entendre parler de l’égalité homme-femmes qui leur apparait comme une tentative sournoise d’attaquer leurs convictions religieuses.
MA.– Pourquoi la Commune ?
JPT.– L’instituteur vient de consacrer une année à étudier Victor Hugo. Il a présenté trois versions filmiques des « Misérables », qui ont été analysées collectivement. La trajectoire de Jean Valjean a ouvert de grands débats sur les possibilités de se reconstruire après une condamnation pénitentiaire. Il vient de leur présenter l’année 1870 et m’a donc demandé de venir parler de la Commune de 1871.
MA.– La prison n’est pas un bâtiment du château, comme en 1871 ?
JPT.– Non ! Mais tu vas voir.
J’y vais un jour de grande canicule, beaucoup de malaises voyageurs et de rails qui se déforment. J’avais prévu 45 mn d’avance, j’arrive avec 10 mn de retard. La surveillante m’attend, dépôt de tout objet métallique, pas de téléphone, pas de clefs, pas d’argent, pas de bouteille d’eau. Même les feuilles de papier passent au scanner.
Je franchis la première porte et arrive dans une cour. Eléonore m’attend, elle m’accompagne pour me faire franchir toutes les portes cadenassées et chaque sas surveillé par un surveillant musclé. Nous arrivons dans la salle centrale, il y a des filets anti-suicides partout, y compris dans les escaliers. On ne peut pas s’échapper, même par la mort.
L’oppression du lieu est toutefois tempérée par une certaine qualité de relations ; tout le monde semble se connaitre et s’appelle par son prénom, on prend des nouvelles de chacun, il y a des sourires. Il me semble que l’on salue également des prisonnières en train de travailler. Un sourire est sans doute un geste de valeur dans ce lieu.
MA.– Une prison à visage humain ?
JPT.– C’est ce que m’a dit, plus tard, Bernard, l’instituteur. Il peut en être fier.
Dernière porte pour pénétrer dans la classe. Je suis accueilli par une quinzaine de femmes qui me remercient d’avoir fait l’effort de venir jusqu’à elles. Je me présente et leur indique mon chemin personnel vers la Commune, puis commence par donner des points de repères sur la situation sociale de l’époque. Elles sont scandalisées par le travail des enfants : « il ne faut pas exagérer quand même ! ». Je m’attarde sur la situation des femmes, et signale le recours forcé à la prostitution. Une femme s’écrie que la situation est toujours la même. Bernard et moi essayons de dire que la situation des femmes a quand même évolué, même s’il reste encore des combats à mener. « Non, monsieur, c’est toujours pareil, exactement pareil ! » La voix est ferme et n’appelle aucune réponse.
Je me dis qu’il y a sans doute ici des chemins de douleurs que j’ai du mal à imaginer.
MA.– Elles t’ont posé des questions ?
JPT.– Oui. Sur Louise Michel. Lorsque j’indique qu’elle a été détenue dans une prison de femmes à Versailles, les cris fusent : « ici, monsieur ? chez nous monsieur ? ». « Je ne pense pas, mais elle était gardée par des religieuses ». « Mais ici c’est un ancien couvent ! ». La certitude s’installe : Louise Michel a été enfermée ici, dans leur prison, c’est une ancienne codétenue, c’est leur sœur. Il me parait difficile de contredire une telle conviction partagée. Ça répond à ta question sur l’emplacement de la prison ?
J’ai regardé un plan. La prison pour femmes de Versailles se trouve sur l’avenue de Paris, celle qui mène de Paris au château de Versailles… le chemin qu’ont suivi les prisonnières de 1871. La maison d’arrêt départementale est visible au centre de cette image de 1854 (cliquer pour l’agrandir).
Après la Commune, Louise Michel a été emprisonnée dans le grenier à fourrages de Satory, puis à la prison des Chantiers, puis dans « notre » prison, 20 avenue de Paris, ensuite plus loin, à Arras et à Auberive.
Oui, Louise Michel a été enfermée dans cette prison. Elle y était le 20 octobre 1871, comme le montre une lettre qu’elle a écrite à cette date.
JPT.– Je raconte souvent que Louise Michel est allée devant le tribunal défendre celui qui a tenté de l’assassiner en lui tirant une balle dans la tête. Ce récit soulève généralement des « Ah ! » de surprise et d’admiration. Ici, rien. « C’est normal ! », avec un petit sourire carnassier qui m’interpelle. Quelque chose m’échappe…
Le mystère se lève lorsque j’aborde les dénonciations lors de la semaine sanglante : « les balances ! les balances ! »…. Oui, dans ce milieu, on ne balance pas, on ne collabore ni avec la police, ni avec la justice. On règle ses comptes soi-même ! Si Louise défend son assassin c’est parce qu’elle va l’attendre à la sortie ! Elles savent, elles, comment ces choses-là se traitent !
MA.– Elles t’ont posé des questions spécifiquement sur les femmes ?
JPT.– Oui. Et fait des commentaires. J’ai dit que des barricades abandonnées par les hommes étaient reprises par les femmes. Une jeune femme s’est écrié : « Mais c’est normal, monsieur, c’est toujours comme ça avec les femmes ! Les femmes, quand elles s’engagent, elles ne lâchent pas ! »
MA.– Tu es resté longtemps ?
JPT.– Deux heures. Elles ont écouté passionnément. Comme tu as vu, beaucoup de questions et de remarques. Certaines ont pris de nombreuses notes et Bernard a écrit les points principaux au tableau. À la fin elles viennent toutes me remercier. Elles me disent qu’elles sont furieuses que l’on ne leur ait jamais parlé de la Commune de Paris avant, alors que cette histoire les touche si profondément.
Deux Marocaines, berbères précisent-elles, me demandent si je pourrais organiser un parcours communard pour leurs enfants. « C’est important qu’ils connaissent la Commune ! »
J’ai eu un peu de mal à sortir et à les abandonner ici.
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Merci, Jean-Pierre.
Une des (multiples) possibles réponses à la question: « pourquoi parler de la Commune aujourd’hui? »
Merci, autre Jean-Pierre, à Jean-Pierre Bonnet pour ses précisions sur les prisons où a été emprisonnée Louise Michel.
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Le plan est un détail d’un plan de Versailles en 1854 que l’on peut voir sur Gallica, là.
Pour l’image de couverture, j’ai choisi un affreux photomontage d’Appert, trouvé sur Gallica, là. Il y a mis les visages de beaucoup de communardes.
Livre utilisé
Michel (Louise), La Commune, Stock (1898).