Comme annoncé dans l’article précédent, voici la description, par ses fondateurs, de ce que sera La Marmite. Peu de commentaires de ma part, tous en bleu.

Aux ouvriers !

Aux ouvrières ! Aux consommateurs !

Appel

pour la formation d’une cuisine coopérative

Depuis quelques années les ouvriers ont fait de grands efforts pour obtenir l’augmentation de leurs salaires, espérant ainsi améliorer leur sort. Aujourd’hui les spéculateurs prennent leur revanche et font payer cher les aspirations des travailleurs en produisant une hausse excessive sur tous les objets de première nécessité et particulièrement sur l’alimentation.

On a proclamé la liberté du commerce ; la spéculation en use pour nous exploiter à merci.

Travailleurs ! consommateurs ! ne cherchons pas ailleurs que dans la liberté le moyen d’améliorer les conditions de notre existence. L’association libre, en multipliant nos forces, nous permet de nous affranchir de tous ces intermédiaires parasites dont nous voyons chaque jour les fortunes s’élever aux dépens de notre bourse et souvent de notre santé. Associons-nous donc, non-seulement pour défendre notre salaire, mais encore, mais surtout pour la défense de notre nourriture quotidienne.

Déjà, des Sociétés d’approvisionnement de denrées de consommation se sont formées et fournissent à leurs membres des denrées alimentaires de bonne qualité et à prix de revient ; une vaste Société coopérative s’organise pour fabriquer et fournir à ses sociétaires du bon pain, à bon marché ; mais les gens de ménage seulement peuvent profiter des avantages de ces sociétés. Une nombreuse population d’ouvriers, d’ouvrières, absorbée par un travail journalier incessant, ne peut s’alimenter qu’au dehors, dans des établissements publics où l’on trouve le luxe avec la cherté, ou bien, avec un bon marché relatif, une nourriture malsaine ou un service malpropre.

C’est à cette nombreuse population de Travailleurs, c’est à vous tous, Ouvriers, Ouvrières surtout qui voyez disparaître si vite le modique salaire de vos laborieuses journées que nous faisons appel.

Unissons-nous. Formons une Société coopérative d’alimentation.

Quelques cotisations nous permettront facilement l’achat d’ustensiles de cuisine et la location d’un logement où quelques employés, travailleurs comme nous et nos associés, nous prépareront une nourriture saine et abondante que nous pourrons, à notre gré, consommer dans notre établissement ou emporter chez nous.

Point de luxe, point de dorures ni de glaces, mais de la propreté, mais du confortable. Nous réaliserons là des avantages que n’obtiennent pas les ménages : économie de temps, car il n’est pas plus long d’approvisionner et de faire cuire pour cinquante personnes que pour deux ou trois ; meilleure cuisine, car une personne de métier y consacrant son temps et son savoir doit faire mieux qu’une ménagère sans instruction culinaire et souvent pressée par le temps. Nous obtiendrons même, pour nos approvisionnements, des conditions meilleures que la plupart des gargotiers, en nous unissant, pour nos achats, avec les Sociétés de consommation existantes.

Que tous les consommateurs soucieux de leur bien-être se joignent à nous et bientôt nous ouvrirons un premier établissement dans le sixième arrondissement, où réside le groupe d’initiative, puis successivement, au fur et à mesure que nos ressources le permettront, nous en ouvrirons dans tous les quartiers où nous aurons réuni un nombre suffisant d’adhérents.

On peut adhérer dès maintenant et se procurer gratuitement le projet de statuts :

Au siège de la Société civile de consommation La Ménagère, rue Saint-Jacques, 21, tous les soirs, de 8 à 10 h., et le dimanche toute la matinée ; et chez MM. Loiseau, menuisier, rue Hautefeuille, 20 ; Rifflet, relieur, rue Grégoire-de-Tours, 42. [Si la rue Saint-Jacques est dans le cinquième, les deux autres adresses sont bien dans le quartier des relieurs.]

Une Assemblée générale aura lieu Dimanche prochain, 19 janvier, à 1 heure et demie précise dans le petit amphithéâtre de l’École de médecine.

Ordre du jour :

Discussion des statuts et constitution immédiate de la société

Les adhésions ne seront définitives qu’aussitôt l’adoption des statuts ; jusque là les adhérents conservent la faculté de se retirer si quelques dispositions adoptées par l’assemblée ne les satisfaisaient pas.

Le comité d’initiative

du conseil de la société La Ménagère et du conseil de la Société de crédit mutuel des ouvriers relieurs

Varlin, Eugène, relieur ; Bourdon, Antoine, graveur ; Gouet, Léon, relieur ; Boullet, Just, relieur ; Delacour, Alphonse, relieur ; Lemel, Nathalie, relieuse ; Varlin, Louis, expéditionnaire ; Lagneau, gaînier. [Louis Varlin est le frère cadet d’Eugène Varlin, Antoine Bourdon son ami depuis toujours, Alphonse Delacour peut-être celui qui l’a amené à l’Association internationale. Nathalie Lemel a dit au Conseil de guerre (en 1872) que la Marmite avait été « organisée par les deux frères Varlin ».]

On est prié de faire circuler

Demain, les statuts

*

Ce texte, dont on cite souvent quelques phrases, est intégralement dans le petit livre de Paule Lejeune.

L’image de couverture — à La Marmite, en septembre 1870 — vient de la bande dessinée que j’ai déjà citée sur Nathalie Lemel. Merci à Laëtitia Rouxel pour ses dessins.

Livres utilisés

Varlin (Eugène)Pratique militante et écrits d’un ouvrier communard, Présenté par Paule Lejeune, Maspero (1977).

Rouxel (Laëtitia) et Michon (Roland)Des graines sous la neige — Nathalie Lemel, communarde & visionnaire, Locus solus (2017).