Je suis allée à Claye-Souilly le 21 février (2019) et, par chance, une très belle journée ensoleillée — le dérèglement climatique a de ces douceurs…

Pour aller à Claye-Souilly, venant de Paris, on commence par prendre le RER B jusqu’à la gare terminus de Mitry-Claye.

Ce n’est pas la partie de la région parisienne que je connais le mieux. Je crois même que je n’avais jamais pris cette branche du RER. Certains des lieux ont pour moi une résonance anachronique, littéraire et irréaliste, la forêt de Bondy, celle de Montfermeil, vous savez, la source où l’on envoie les enfants chercher l’eau la nuit… J’y pense dans le train en regardant les arbres et des restes de forêt, entre voie ferrée, autoroute, ligne à haute tension, aéroport…

Mais voici la gare. Une gare construite en 1861 et qui n’a pas beaucoup changé depuis.

Et après? Claye-Souilly est à 6 kilomètres. L’immense (mais insuffisant) parking en face de la gare laisse augurer de peu de transports en commun. D’ailleurs, mon hôte, ma guide devrais-je dire, vient me chercher en voiture.

Mireille Lopez est spécialiste d’histoire locale, elle anime le blog Claye-Souilly Découverte, grâce auquel j’ai fait sa connaissance. Elle est aussi, et ça semble presque aller de soi, militante environementale, voir le blog de l’association ADENCA.

Les plus naïfs des lecteurs de cet article se demandent peut-être ce que cette histoire fait sur ce blog (le mien, cette fois). Les autres se souviennent peut-être qu’Eugène Varlin est né à Claye-Souilly. C’est à un « parcours Eugène Varlin » que Mireille Lopez m’a conviée.

Nous voici dans le quartier d’Eugène Varlin et plus exactement celui d’Alexandre Varlin et Héloïse Duru son épouse, les parents de Clémence, Eugène, Louis et Hippolyte Varlin.

Nous marchons le long du canal de l’Ourcq et même le traversons: l’école où allaient les enfants Varlin était de l’autre côté (je rappelle qu’Eugène Varlin est né en 1839 et qu’il a quitté Claye-Souilly pour entrer en apprentissage à Paris en 1853).

L’école a changé de rive, apparemment parce qu’il y avait eu des noyades.

Justement, nous passons maintenant devant une (autre) école, anciennement « école communale de garçons », qui bien sûr n’existait pas au temps d’Eugène Varlin — temps où l’école n’était ni obligatoire, ni laïque, et même pas gratuite. Mais cette école porte son nom, à lui qui s’était prononcé sans équivoque pour l’école gratuite, laïque et obligatoire — c’était, vous pouvez le lire dans les bons ouvrages, au premier congrès de l’Association internationale des travailleurs, à Genève en 1866.

Puis nous entrons dans l’église, celle où Eugène Varlin a fait sa première communion, le 23 juin 1851. Ce jour-là, M. le curé avait dressé la liste des enfants qui communiaient, dix-huit garçons et vingt-six filles. Il a noté que douze de ces filles travaillaient à la fabrique, et qu’aucune d’elles ne savait lire.

La fabrique, c’était l’usine de toiles peintes Japuis. Qui employait ces enfants, à partir de l’âge de sept ans, parce qu’elles étaient assez petites pour pouvoir se glisser sous les machines où elles passaient, accroupies, des journées de douze ou quatorze heures.

L’alternative était bien l’école ou l’usine. Toutes les familles n’ont pas eu le choix. La fabrique procurait un salaire minime et l’école coûtait 1 franc par mois pour les enfants qui apprennaient à lire, 1 franc 50 pour ceux qui savaient déjà lire et écrire.

À l’emplacement de la fabrique Japuis, nous avons vu les locaux que Wabco (les freins) a occupés — sur la photo, regardez la jolie fresque (cliquer pour agrandir), nous sommes toujours au bord du canal.

Il serait irrespectueux pour les habitants de Claye-Souilly d’hier et d’aujourd’hui de ne pas signaler

  • que cette entreprise a fermé cette usine et a ouvert des sites dans des pays de l’est de l’Europe
  • et que le terrain et la nappe sont pollués aux solvants et hydrocarbures.

Juste à côté, au bord du canal aussi, un restaurant

qui existait au temps d’Eugène Varlin sous le nom du Cheval Rouge — il y avait aussi, dans le même village un Cheval Blanc, mais je ne sais pas si le choix de couleur était politique!

Nous avons continué notre promenade dans le hameau de Voisins, où les maisons organisées autour de cours communes sont encore assez fréquentes.

Un voisin très fier de ses plantations nous a très gentiment accompagnées à l’emplacement du lavoir (aujourd’hui détruit) où Héloïse Varlin lavait le linge de la famille, avec la fontaine où les enfants Varlin allaient chercher l’eau — un lieu moins terrifiant que la source dans la forêt de Montfermeil évoquée ci-dessus, si la famille Varlin n’était pas riche, Clémence n’était pas Cosette!

Bien sûr, nous avons vu la maison dans laquelle Eugène Varlin est né et a vécu son enfance, avec la plaque, posée là en 1913.

J’avoue que je n’avais pas vu le gilet jaune dans la voiture, j’ai d’ailleurs fait une autre photo, sans voiture ni poubelle, mais réflexion faite j’ai préféré garder celle-là. Dans la même rue exactement, on aperçoit, derrière un mur assez long — et donc dans un parc assez grand — une maison qui était, au temps d’Eugène Varlin, celle d’Amable Japuis, de la famille qui faisait travailler les enfants.

Les inégalités sociales étaient bien visibles — les enfants Varlin n’ont pas pu les ignorer. Heureusement, malgré la présence de ce riche monsieur, c’est de l’ouvrier Eugène Varlin que la rue porte le nom.

La dernière image de cette après-midi ensoleillée est celle d’un beau platane, plus âgé qu’Eugène Varlin, mais que celui-ci a connu moins haut!

Avec mes remerciements à M. et Mme Lopez pour leur accueil chaleureux!