Pour commencer et comme je vous l’avais annoncé le 27 septembre, Gustave Maroteau se souvient de son article paru dans La Patrie en danger en septembre et le reproduit — avec commentaires — dans La Montagne à la date du 18 avril.

Au commencement du siège, j’écrivais les lignes suivantes. Elles soulevèrent des tempêtes. Le Journal des Débats me dénonça à la vindicte publique et des gardes nationaux me cherchèrent pour me fusiller.
Lisez: 

[Ici il insère l’article que vous pouvez aller lire là, dont la dernière phrase était

Tous les citoyens ont, maintenant, des fusils comme les Mexicains de Juarez, un pistolet comme Malet, un revolver comme Mégy.

Qu’il termine aujourd’hui simplement par
Tous les citoyens ont, maintenant, des fusils.]

Avec la suite du jour:

Eh! Bien, j’avais raison, et il a fallu que nous en vinssions là après cent trahisons et mille désastres.

La violence nous épouvante et nous repoussons dans le même bric-à-brac affreux les clous de la passion, les piques de la terreur, le poignard de Brutus et le revolver de Bérézowski [un jeune Polonais qui avait tiré sur le tzar Alexandre II en visite à Paris en 1867].
Nous inscrirons dans le même martyrologe Jésus, César, Mme de Lamballe et Alexandre [si c’est Alexandre II, il n’a pas été touché par la balle de Bérézowski].

Assez!

On nous assassine; soyons impitoyables, ripostons au stylet par le couteau; dressons Lacédémone en face d’Ajaccio [après plus de vingt ans de bonapartisme, la Corse avait plutôt mauvaise presse parmi les révolutionnaires parisiens]. Si nous hésitons, adieu paniers! Nous retombons, avec le comte de Paris [petit-fils de Louis-Philippe], dans toutes les erreurs et dans tous les scandales du règne de Louis-Philippe.
Pire que cela, on nous ramène Bonaparte, avec sa tache au front comme Macbeth; l’impératrice, cette catin qui se débarbouille dans l’eau bénite pour effacer la marque des baisers de ses amants.
On nous ramène Haussmann le voleur, Schneider l’inerte, Zangiacommi, le vieux magistrat baveux, toujours prêt à condamner Socrate et à déshabiller Phryné [pour convaincre les jurés en montrant sa poitrine (solide culture gréco-latine pour Maroteau!)];
Grandperret qui porte sa toque comme une guenon sentimentale; toute la bande de ces coquins qui sont si effroyables et si risibles, qu’on ne sait si on doit les battre avec la trique de polichinelle [Guignol, plutôt?] ou le gourdin des gardes chiourmes.

Gustave Maroteau

*

À la Commune, où un service sténographique est installé, de sorte qu’il y aura des comptes-rendus des séances dans l’Officiel, le président (qui, aujourd’hui est Charles Ledroit, un élu du cinquième) lit une communication du délégué à la Guerre.

Ministre de la guerre à Commune,
Rien de nouveau à propos des événements militaires.

« (Bruit) », ajoute le procès verbal. Et protestations:

Un membre dit qu’il n’est pas possible qu’il n’y ait rien eu de nouveau après les faits si graves qui se sont passés à Neuilly. — Lefrançais certifie qu’à Neuilly il n’y a rien de nouveau. On fait le siège en règle de certaines maisons près de l’église; il y a des barricades; on se bat; mais, en résumé, rien de nouveau.

Avrial. — Des délégués se sont transportés cette nuit sur les lieux où avait eu lieu l’action, et ont assuré qu’il n’y avait rien de nouveau.
Malon. — Voilà ce qui s’est passé à Asnières. Il y avait un poste établi du côté du bois de Colombes; les Versaillais sont venus, ont forcé le 67e [un bataillon du onzième], qui s’est débandé, ce qui a compromis un moment nos troupes, mais l’ennemi ne nous a pas tournés, ce qui était à craindre. On a battu le rappel à Batignolles, tout le bataillon s’est levé, et à 5 heures il était à son poste; ses positions n’ont pas été perdues. Je relève un fait à la charge des versaillais: ils ont tiré sur une ambulance au bord de l’eau, sur laquelle ils ont envoyé au moins 15 obus; il y a eu des employés de l’ambulance blessés.
Tridon. — On a demandé un rapport de la Guerre.
Un membre. — Pour répondre immédiatement aux optimistes qui cherchent à nous rassurer, je demande communication du télégramme reçu cette nuit à l’État-major.
Dereure. — Les bataillons se sont avancés beaucoup trop; les 125e et 158e [deux bataillons du dix-huitième] et la légion de Seine-et-Oise se sont maintenus dans la position, postés sur Colombes. Les gardes nationaux, qui étaient au château de Bécon, ont été surpris et se sont débandés sous le feu des mitrailleuses.
La position d’Asnières n’est plus en notre pouvoir, il ne faut plus se faire d’illusion.
Clément dit que l’Assemblée paraît se laisser leurrer sur la situation d’Asnières. Les gardes nationaux qui se trouvent à Asnières, Courbevoie, presqu’île de Gennevilliers [l’importance stratégique de ce qu’on appelle « presqu’île de Gennevilliers » est qu’elle est du même côté de la Seine que Versailles, comme on le voit sur l’image de couverture], Argenteuil craignent de se voir tournés. La batterie d’Asnières est inutile, je le garantis. Les gardes nationaux craignent d’être coupés; il n’y a qu’un pont, très étroit; il faut admettre la crainte de certains gardes Il faut des mitrailleuses, et nous n’en avons pas. Je le répète, vous vous laissez leurrer sur la situation d’Asnières; je ne fais que le constater et je proteste.

Le président prie l’Assemblée de présenter ses observations, quand Cluseret sera en séance.

Blanchet. — Je demande que Cluseret soit consulté, afin que chacun de nous puisse lui soumettre ses observations, au nom du salut public. Je supplie aussi chaque membre d’être excessivement prudent, afin de ne pas froisser la susceptibilité du délégué à la Guerre.
Cluseret est militaire et il nous faut des militaires. Nous sommes tous des hommes; par conséquent je demande qu’on attende, car Cluseret se pourrait trouver fâché et donner sa démission. Or, nous avons à faire à des assassins, mais qui sont militaires, et Cluseret nous est indispensable.
[…]

Dans la suite de la séance, qui dure trois heures et demie (jusqu’à sept heures), on parle du service médical des ambulances, de nommer ou pas Viard à la Préfecture de police (c’est non), il y a d’autres nouvelles militaires (attaques sur Issy repoussées), on installe (enfin) une commission d’enquête pour les secours aux veuves et aux orphelins (voir notre article du 11 avril), enfin on discute sur un projet de programme de la Commune.

Puis il y a une deuxième séance (en comité secret) à 10 heures du soir, où est (re)lu par Vallès, très légèrement modifié et adopté (à l’unanimité moins une voix) le « programme de la Commune » — réputé avoir été rédigé par Pierre Denis. Il sera publié le 20 avril dans le Journal officiel. Quant à cette décision,

Attendu que le principe de la liberté de la presse ne comporte pas l’existence à Paris de journaux qui sont favorables aux intérêts de l’armée ennemie, sont supprimés les journaux le Bien Public, le Soir, la Cloche et l’Opinion nationale.

elle paraît dès le 19. On parle aussi de la cour martiale. Et les élections d’avant-hier? Ce sera pour demain.

*

Le plan utilisé en couverture, que vous pouvez regarder de plus près en cliquant sur cette image

a été édité à Londres vers 1870 et se trouve sur Gallica.

Livre utilisé

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Cet article a été préparé en novembre 2020.