Dans le numéro de La Patrie en danger daté du 27 septembre, un article de Gustave Maroteau et deux brèves, dans la rubrique « Faits et nouvelles » d’Henri Verlet. Commençons par les deux brèves.
Nous avons vu hier le citoyen Marotteau [sic] garde mobile; les boutons de sa tunique sont salis par l’aigle bonapartiste.
Et je vous jure qu’il voudrait bien que le gouvernement républicain adoptât enfin des insignes républicains.
Mais, dame! on ne croit peut-être pas encore à la République à l’Hôtel de Ville!
Gustave Maroteau avait bien dû passer au journal ou rencontrer Verlet ailleurs, pour lui donner son article.
Un peu plus bas, dans la même rubrique:
Le citoyen Gustave Maroteau quitte Paris demain. Il va rejoindre à Saint-Denis le 13e bataillon de la mobile de la Seine.
Cela n’empêchera point son journal: Le Père Duchêne, de reparaître jeudi.
Voilà un journal qui sera bien informé sur la guerre.
Saint-Denis est en plein feu. Si le Père Duchêne meurt, ce sera, cette fois, tué — non par la loi, mais par la Prusse.
Nous souhaitons de tout notre cœur que notre ami échappe aux balles. Et vive le Père Duchêne!
Dans son numéro daté du 10 septembre, La Patrie en danger annonçait la parution « pour lundi » (le 12) d’un nouveau journal, L’Ami du peuple, par le citoyen Maroteau. Le journal n’est pas paru. Gustave Maroteau fait donc une nouvelle tentative!
Il y a déjà eu un Père Duchêne, journal de Gustave Maroteau, qui est paru sept fois, du 3 au 9 décembre 1869. Gustave Maroteau a ensuite publié Le Faubourg, qui n’a eu que deux numéros, les 26 et 29 février 1870 — il avait d’abord été annoncé pour le lendemain dans La Marseillaise du 27 janvier et, et cette fois c’était vrai, dans celle du 25 février — ce qui avait valu une arrestation au jeune journaliste (voir La Marseillaise du 3 avril), souvenez-vous, il était inculpé de vagabondage (voir encore La Marseillaise du 5 avril et des jours suivants).
Il était en exil à Londres et en est revenu. Si l’on en croit Maxime Vuillaume, il était déjà à Paris le 5 septembre et attendait Victor Hugo à la gare (voir notre article du 5 septembre)– d’après son article ci-dessous il venait alors tout juste d’arriver.
Mais, non, Le Père Duchêne n’est pas reparu, ni demain ni à une autre date.
Gustave Maroteau publiera quand même, bientôt, deux numéros d’un journal nommé Le Drapeau rouge (les 2 et 4 novembre).
Comme le souhaitait Henri Verlet, Gustave Maroteau a échappé aux balles. Pas à la fluxion de poitrine.
Il n’a pas été tué par la Prusse, il l’a été par la loi versaillaise.
Mais n’anticipons pas.
Voici son article d’aujourd’hui. En vert.
Vive la République!
Il y a six mois, l’émeute se mit tout à coup à gronder autour du trône de Bonaparte, ce benêt et ce bandit qui portait, vissés aux bottes de Robert-Macaire les éperons sanglants de César.
Les pavés s’étaient soulevés dans les faubourgs, et les soldats tuèrent un ouvrier qui, debout à la crête d’une barricade, attendait le feu, entortillé dans un drapeau rouge.
Au Château-d’Eau un insurgé fit renifler son pistolet à un officier.
— Criez: Vive la République!
Et comme celui-ci se reculait, balbutiant et épouvanté, il appuya sur la détente et lui fit sauter l’épaule.
Ce révolté se nommait Malet, et je le cite comme exemple.
Son souvenir me revint, l’autre jour, en voyant défiler sur les boulevards, au son des tambours, les régiments de paysans indolents ou mystiques.
Nous levions nos chapeaux pour les saluer comme des soldats de liberté, et ils passaient sans répondre, en fredonnant un cantique ou en chantant aux bœufs.
Malet eût soulevé d’une balle le képi des capitaines, et c’eût été bien, car il est l’heure de savoir mourir et tuer.
La République est, de tous côtés, menacée, trahie par les uhlans et par les chouans, par Bismarck et par d’Orléans…
Oui! Et il faut que nous soyons sans pitié, que nous barbouillions de sang les traîtres et les lâches. Il y en a beaucoup.
Kératry n’a point voulu faire aux Corses la guerre qu’il fit aux métis, et il épargne Piétri [il s’agit du préfet de police de l’empire (Piétri) et des employés de la préfecture de police (les Corses)], lui qui eût pendu Juarez.
Il aurait pu tout balayer d’un coup de drapeau.
Mais il a eu peur, le guerillero, d’étouffer les aigles dans le nid.
Toute la clique impériale vit et conspire, et je ne serais point étonné que le comte [toujours le préfet de police Kératry] eût pris pour confident Figaro.
Villemessant [directeur du Figaro] est revenu depuis huit jours, et déjà il a essayé de grouper les drôles, tenté une insurrection terroriste, raccommodé la poupée de Romieu…
Est-ce que Kératry voudrait avec les bulletins de ces gredins faire des bourres pour les fusils des sergents de ville?
Hélas! nous en sommes à ce doute poignant, et dans nos cœurs, dans nos consciences se réveillent, se gonflent, s’animent les souvenirs et les haines.
J’avais, comme vous, juré de les faire taire le jour où Bobêche ayant cassé son sabre, le coq républicain put enfin redresser sa crête rouge.
J’étais à Londres, où Ollivier, qui vous avait verrouillés tous, m’avait forcé de porter ma besace d’exilé, après m’avoir fait proscrire du Brabant.
Nous nous trouvions chez Besson, le forgeron noir de limaille, que Bonaparte fit chasser pour avoir, au fond de son village, cherché à écraser le coup d’État sous son coup de marteau.
Il y avait là tous les vieux transportés de décembre: Denampon, Dorlin, le père Cayenne qui s’échappa avec Pianori de l’île du Diable sur un radeau, n’ayant pour voile qu’une chemise de forçat.
Pianori mourut en route, après une agonie de martyr, la chair déchirée, le sang bu par les crabes.
Nous en parlions quand entra Tibaldi [si je n’ai pas trouvé d’information sur les autres amis rencontrés par Maroteau, Paolo Tibaldi, lui, est dans le Maitron], compatriote et compagnon du mort, pour avoir ramassé son pistoler de régicide.
— Citoyens, nous dit-il, Paris est libre. Vive la République!
Le soufflet de forge retint son haleine et le marteau ne manqua pas la minute.
Tibaldi nous lut alors, avec son accent florentin, tout essoufflé, les noms des césars provisoires.
— Mais, fit quelqu’un, ils ne sont pas républicains.
— Chut! plus tard!
Et le soir même nous nous embarquions pour venir prendre le mot d’ordre de l’Hôtel de Ville.
Nous ne savions pas alors qu’ils enverraient Thiers à Gladstone et Jules Favre à Bismarck; que sous leurs peux de cuistres se cachaient des hommes d’État.
Ils n’étaient là, pensions-nous, que pour distribuer de la poudre et des balles: car Paris a besoin de sentir un peu la poudre à canon pour oublier l’odeur des poudres de boudoir.
Gare à vous, Prussiens!
Nous allons nous battre peuple à peuple, têtes folles contre têtes carrées, bonnet phrygien contre couronne, coq contre aigle.
Et vous, messieurs, tâchez de réparer vos fautes. Soyez énergiques jusqu’à la violence.
Silence à Mirabeau! Vive Marat!
Si vous hésitiez, nous nous ferions justice nous-mêmes.
Tous les citoyens ont, maintenant, des fusils comme les Mexicains de Juarez, un pistolet comme Malet, un revolver comme Mégy.
Gustave Maroteau
Le Journal des Débats daté du 27 septembre a tenu à signaler cet article « à l’indignation de tous les Français ».
D’autre part, Pierre Mallet a envoyé une lettre que La Patrie en danger a publiée dans son numéro daté du 3 octobre,
je puis assurer au citoyen Maroteau que jamais mon intention n’a été de le [le revolver] décharger sur des soldats quels qu’ils soient.
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Aux difficultés éditoriales de Gustave Maroteau, j’ajoute que, pour le moment, c’est La Patrie en danger qui va s’arrêter. Le numéro daté du 28 paraît encore, et puis c’est tout… Jusqu’au 2 octobre, date du numéro suivant. Gustave Geffroy raconte ça beaucoup mieux que moi. Cela commence avec la brève arrestation d’Henri Verlet il y a quelques jours (voir notre article du 24 septembre). Je reprends la citation commencée dans cet article…
l’incident est significatif, indique des adversaires irrités, violents, prêts à remplacer la discussion par la brutale injonction de la force: on introduirait volontiers le bâillon dans la bouche d’airain. De fait, on parvient à la faire taire trois jours. Après l’article le plus sensé, le plus raisonnable: Les Nécessités de la défense, où Blanqui réclame l’inventaire général et le rationnement, montre l’utopie de la communauté devenue subitement un fait qu’il faut subir si l’on ne veut périr, après cet article, il y a une interruption de trois jours de La Patrie en danger: l’imprimeur a refusé de continuer sans un subside. Jamais Blanqui ni ses amis ne se sont occupés de la vente et du gain, n’ont exigé un compte, laissant libre l’industriel jusque là satisfait.
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J’ai déjà utilisé la photographie de Gustave Maroteau en couverture d’un autre article.
Quant à Gustave Maroteau, il se souviendra de cet article dans le numéro de son journal La Montagne daté du 18 avril 1871.
Livre cité
Geffroy (Gustave), Blanqui L’Enfermé, L’Amourier (2015).
Cet article a été préparé en juin 2020.