Dans Le Siècle daté d’aujourd’hui 3 mai, on peut lire:

On nous prie de publier l’appel suivant:

Les femmes de Paris, au nom de la patrie, au nom de l’honneur, au nom enfin de l’humanité, demandent un armistice.
Elles pensent que la courageuse résignation dont elles ont fait preuve cet hiver, pendant le siège, leur a créé un droit à être  écoutées par les deux partis, et elles espèrent que leur titre d’épouse et de mère attendrira les cœurs à Paris comme à Versailles.
Lasses de souffrir, épouvantées des malheurs, cette fois sans gloire, qui les menacent encore, elles en appellent à la générosité de Versailles, à la générosité de Paris!
Elles supplient ces deux villes de déposer les armes, ne fût-ce qu’un jour, deux jours, le temps, pour des frères, de se reconnaître et de s’entendre, le temps de trouver une solution pacifique.
Toutes les femmes, celles qui ont des petits enfants que les bombes peuvent atteindre dans leur berceau, celles dont les maris se battent par conviction, celles dont les maris ou les fils gagnent le pain du jour aux remparts, celles qui sont aujourd’hui seules gardiennes du logis, toutes enfin, les plus calmes comme les plus exaltées; au fond de leur cœur, réclament de Paris et de Versailles: La paix! la paix!

Un groupe de citoyennes.

Avant de vous livrer la réaction — cinglante — de l’Union des femmes deux jours plus tard (ce sera dans l’article du 5 mai prochain), je donne la parole à quelques citoyennes — communardes.

Hôtel-Dieu. Je suis infirmière, ici à l’Hôtel-Dieu, depuis des années. Avec la Commune, nous avons un nouveau directeur, Monsieur Paget, je veux dire le citoyen Paget. On ne m’appelle plus « ma sœur », oui, je suis une sœur augustine, mais citoyenne. J’ai ceinturé ma robe noire de rouge. Le directeur a fait badigeonner les noms des saints, la salle où nous sommes est la salle Blanqui. Mais je soigne les malades de la même façon qu’avant. Sauf que davantage de malades sont des blessés. J’ai dû apprendre d’autres soins. Regardez notre salle Blanqui! C’est le printemps, on a mis des fleurs partout, c’est bon pour le moral. Voyez les belles branches de lilas à la tête des lits! C’est gai… et puis comme ça, si vous ne voulez pas voir les crucifix, regardez les fleurs! Non, nous ne les avons pas enlevés, mais Monsieur Paget le sait. Cependant, il ne nous permet pas tout! Excusez-moi, mais j’entends qu’on m’appelle. Il faut que je change le pansement de ce malheureux. [ma]

Rue Saint-Gilles. Je m’appelle Marie-Jeanne Bouquet, femme Lucas, j’habite rue Saint-Gilles. J’ai cinquante-deux ans. Je suis bijoutière. C’est un travail pénible. Beaucoup de poussière métallique, il faut être habile et aussi avoir de la force. C’est très fatigant, à cause de la position, mais ça use aussi les yeux. Depuis le siège, il n’y a plus de travail! Pour manger, ce n’est pas facile, je trouve quand même des menus travaux ici ou là. Je vais peut-être aller voir si je peux être embauchée à coudre des sacs. En attendant, ça me laisse le temps d’aller au club. Le mien, c’est Nicolas-des-Champs. J’y vais tous les soirs. Telle que vous me voyez, j’y vais, justement. On discute des moyens de faire avancer la Révolution. Moi, je crois qu’il faut que la Commune soit plus ferme contre les versaillais, quand même, ils fusillent nos gardes. Je vais proposer qu’on vote la mort de l’autre corbeau, l’archevêque Darboy. Et je vais expliquer comment faire des bombes avec du pétrole dans une bouteille. [ma]

Corps législatif. Le grand bâtiment devant nous, avec les colonnes, c’est le Corps législatif. On dit « Corps législatif », comme au temps de l’Empire où l’assemblée n’était pas nationale… Ah! Tout était impérial, en ce temps-là. Aujourd’hui, il y a une Assemblée, mais elle se réunit à Versailles. On l’appelle « l’Assemblée de Versailles ». Elle n’a rien de national non plus. Dans le théâtre de Louis XIV avec ses fleurs de lys, ça leur va bien, à ces sinistres comédiens, royalistes et bonapartistes ligués contre Paris et la République. La vérité, c’est qu’ils sont terrorisés que le peuple se mêle de politique. Surtout le peuple armé! C’est là que je vais, ah! excusez-moi, je ne me suis pas présentée, je m’appelle Joséphine, j’étais couturière mais, depuis la Commune, je travaille comme infirmière, et là, je suis allée chercher de la charpie. Un beau bâtiment comme ça, c’est dommage que ça ne serve pas. Il y a de la place! Des ateliers, une ambulance, c’est là qu’on m’attend, allez, j’y vais, salut et fraternité! [ma]

Rue Lacharrière. Je m’appelle Marie, j’habite rue Lacharrière, le long de l’église. J’ai quinze ans et j’accompagne mon père, le citoyen Létang, à la réunion du club Ambroise. Nous participons aux réunions tous les soirs. Que le Christ est beau avec son écharpe de communeux autour de la taille! J’apprends beaucoup de choses sur la vie et la révolution. Ceux qui parlent racontent ce qui ne va pas dans nos vies et que la Commune devrait changer. J’aime surtout les discours de Prolétaire, le maçon. Il voudrait que les élus viennent écouter ce qui se dit au club. Peut-être qu’ils n’ont pas le temps? Mais c’est vrai qu’ils ont été élus pour ça, connaître ce que nous voulons. La citoyenne Mayer, qui est la secrétaire du club, elle parle de nous, les femmes, elle dit que la femme est la prolétaire de l’homme. Tout le monde l’approuve, mais ce qu’ils font chez eux… Quand quelqu’un finit de parler, on crie Vive la Commune! Et puis, mon père se met à l’orgue et je chante La Marseillaise. Tout le monde reprend avec moi. [ma]

Rue d’Alesia. Je m’appelle Anne Gobert. J’ai quarante-huit ans. Vous trouvez peut-être que j’ai l’air plus vieux. C’est que je suis journalière, j’ai eu des enfants — trois sont grands, maintenant. La vie, pour nous, et surtout pour eux, ça n’a pas été facile. J’ai toujours travaillé et jamais gagné assez pour manger. J’ai même fait six mois de prison, pour vol, en 1849 — fallait bien trouver de quoi les nourrir, mes petits. Résultat, ils ont eu six mois sans leur mère! Vous trouvez ça normal? Bon, grâce à la Commune, c’est du passé, n’en parlons plus. Oui, Vive la Commune! J’ai adhéré à l’Internationale. J’ai signé le manifeste contre la guerre en juillet. Et maintenant, c’est une autre guerre, et celle-là je la fais. Canailles, assassins, ils agissent au nom d’un gouvernement d’assassins! Mon mari aussi, il combat, il est sergent au 217e, et tous les deux nous nous battons pour défendre la Commune, pour nous défendre, nous les ouvriers! [ma]

Les interventions signalées (ou signées) [ma] sont inédites et ont été rédigées par moi (M. A.).

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La gravure de couverture représente le club Ambroise où, en 1871, la citoyenne Létang chantait La Marseillaise. L’image date de 1868, alors ce lieu s’appelait « église Saint-Ambroise ». Elle est parue dans Le Monde illustré le 3 octobre 1868.

Cet article a été préparé en novembre 2020.