Pendant le siège de Paris, je vous ai rendu compte, de temps à autre, des réunions hebdomadaires de l’Académie des sciences. Ces messieurs se sont intéressés aux amputations (12 septembre), à la fabrication du pain (26 septembre), à la viande (17 octobre), à une éclipse de soleil (5 décembre), au froid (26 décembre) et au bombardement de Paris (9 janvier).

Mais depuis?

Eh bien, ils ont continué à tenir séance tous les lundis pour parler, comme toujours, de science. Même après le 18 mars. Même si beaucoup d’entre eux avaient « franc-filé » et en particulier leur président en titre.

La science continue.

En ce temps-là, et cela a encore duré quelques décennies, la science faisait partie de la culture et la plupart des journaux publiaient chaque semaine un article rendant compte de ce qui s’était dit le lundi précédent dans la grande salle des séances. C’est aussi ce qu’a fait le Journal officiel pendant la Commune.

Le peuple a besoin de science.

Les articles hebdomadaires dans ce journal sont signés C. P. Dans Comme une rivière bleue, qui est un roman, j’ai imaginé l’identité de ce journaliste inconnu. Ici il est C. P., tout simplement. Je vous cite entièrement son article du 2 mai, date que j’ai choisie pour deux raisons:

  • Il n’a pas été reproduit dans la « réimpression » prétendument in extenso du Journal officiel, que l’on lit souvent en lieu et place du « vrai » Journal officiel, ce qui fait qu’il a été peu (c’est un euphémisme) lu.
  • C’est un texte communard, beau et lucide.

Le voici (la citation en vert), comme dans le Journal officiel du 2 mai.

Académie des sciences

Séance du lundi 1er mai 1871
Présidence de M. Delaunay

[L’astronome Charles Delaunay préside en l’absence du président Faye, absent. Vingt savants sont présents.]

Le public était assez nombreux; mais MM. les savants se faisaient, en partie, remarquer par leur absence.

Nous savons que, si quelques-uns ont dû s’éloigner temporairement de Paris pour des motifs tout à fait légitimes, d’autres, au contraire, qui avaient sollicité ou accepté sous l’ancien régime des fonctions politiques, se sont empressés de fuir à Versailles, sans doute pour y prêter leur concours à la réaction effrénée qui s’y exerce, sous la direction de M. Thiers et de son assemblée de ruraux.

Mais, à côté de ces fauteuils vides, nous avons vu avec plaisir ceux occupés par les académiciens qui, fidèles à leur devoir, n’ont pas déserté leur poste scientifique. 

Parmi eux, nous citerons M. Chevreul, l’illustre doyen d’âge, et cependant l’un des travailleurs les plus actifs, les plus féconds de l’Académie [que nous avons vu, furieux, le 9 janvier]; M. Élie de Beaumont, l’inamovible et infatigable secrétaire perpétuel, qui n’a que le seul défaut d’être dépourvu d’un organe suffisant [C. P. se plaint souvent de la faible voix de ce savant]; M. Delaunay, le jeune directeur annuel de l’Académie; enfin MM. de Quatrefages, Milne-Edwards, Decaisne, Blanchard, les savants professeurs du Muséum, qui n’ont pas voulu abandonner les richesses accumulées dans notre grand établissement scientifique; MM. Duchartre, Payen, Chasles, Morin et autres également dévoués à la science.

À tous ceux-là, merci.

Quelles que puissent être leurs opinions politiques, ils font preuve de patriotisme en continuant leurs travaux avec la même ardeur. Ils savent que la nature ne s’arrête point dans sa marche, que ceux qui se sont donné la mission de l’étudier dans ses manifestations les plus éclatantes ou les plus obscures, doivent toujours être en observation, dans la crainte de laisser échapper à leurs investigations quelque fait intéressant et utile au progrès scientifique.

La lecture du procès-verbal de la dernière séance ne donne lieu à aucune observation.

[Un peu de science, maintenant, chers lecteurs!]

Dans la correspondance, dépouillée par M. E. de Beaumont, la seule communication intéressante est une note de M. Stanislas Meunier, sur la transformation de la serpentine en tadjérite; ce qui constitue le premier cas de reproduction d’un météorite au moyen d’une roche terrestre.
Dans ses précédents travaux, M. Stanislas Meunier avait prouvé que la météorite grise, qu’il appelle aumalite (d’Aumale, Algérie), simplement chauffée au rouge, devient noire et identique sous tous les rapports à la tadjérite (météorite tombée le 9 juin 1867 à Tadjera, près de Sétif, Algérie).
Aujourd’hui, l’auteur a découvert que la serpentine, soumise à l’action simultanée de la chaleur rouge et de l’hydrogène, se transforme en tadjérite:
1° En perdant l’eau et une partie de l’oxygène qu’elle renferme;
2° Par l’action de la température rouge, à laquelle les météorites elles-mêmes se transforment en tadjérites.
M. Stanislas Meunier a éliminé ainsi les procédés qui nécessitent la fusion, parce qu’il part de la serpentine qui a la structure de la roche à imiter.

M. le docteur E. Decaisne communique à l’Académie le résultat des recherches qu’il a faites pendant le siège de Paris sur les variations de la température animale dans les maladies des enfants.
Malgré les travaux importants déjà publiés en France et en Allemagne sur ce sujet, il y avait encore du nouveau à trouver dans ce coin de la science, et les recherches qu’il a poursuivies pendant le siège sur l’insuffisance de l’alimentation, et ses effets sur le développement et la terminaison des maladies, lui ont permis d’étudier, dans certaines affections, la température de l’enfant nouveau-né.
Il est généralement admis que la température de l’enfant, à sa naissance, et de 37°25; mais elle s’abaisse immédiatement, et au bout de quelques minutes, le thermomètre peut descendre graduellement jusqu’à 35°50. Le lendemain même, il est revenu à son niveau primitif.
On a observé que dans l’état de maladies, le maximum de température s’est élevé chez l’enfant nouveau-né à 42°50 et le minimum à 23°50.
Le docteur Decaisne a étudié la température des enfants principalement dans trois maladies, la pneumonie, la méningite et la diarrhée cholériforme.
Dans la pneumonie, il y aurait constamment élévation de température. Pour l’un des malades observés, le chiffre de la température était même supérieur à tous ceux indiqués dans les auteurs.
Dans la méningite, au contraire, ainsi que pour la diarrhée cholériforme, il y a toujours abaissement de température.
L’auteur fait remarquer à ce propos l’importance que pourrait avoir l’observation thermométrique, au point de vue du diagnostic, pour différencier certaines maladies fébriles qu’on peut confondre facilement.
Au sujet de la diarrhée cholériforme, observée chez trente et un enfants de la classe pauvre, soumis à toutes les misères du siège, le docteur Decaisne fait remarquer que l’inanition est une cause de mort qui marche de front, et en silence, avec toute maladie dans laquelle l’alimentation n’est pas à l’état normal. L’inanition arrive à son terme naturel [ah qu’en termes galants…] quelquefois plus tard que la maladie qu’elle accompagne sourdement, et peut devenir maladie principale là où elle n’avait d’abord été qu’un épiphénomène.

M. Chasles présente une note sur divers théorèmes concernant les systèmes de coniques représentés par deux caractéristiques.

M. Trécul lit un mémoire traitant du suc propre dans la famille des aloès.
Les observations physiologiques et microscopiques abondent dans ce travail, qui rappelle par la science et l’intérêt ceux auxquels le savant micrographe doit sa renommée scientifique.

M. Boileau, notre confrère du Moniteur universel, communique un plan d’études appliqué à la connaissance des astres.
Ce vaste plan indique les méthodes les plus favorables, après avoir fait une critique raisonnée de celles actuellement en usage. Nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement dans un autre travaiL

M. Zaliwsky présente une note sur un fait nouveau qu’il a observé dans la suite de ses études, sur la direction nouvelle des corps de la nature dans l’espace, dont il a été question aux deux dernières séances.

M. Delaunay dépose sur le bureau le tableau des observations météorologiques du mois d’avril. [Il est directeur de l’Observatoire, c’est à la reproduction de ces tableaux dans les Comptes rendus (officiels) de l’Académie des sciences que nous devons notre connaissance du temps qu’il faisait…]

La séance est levée à cinq heures.

C. P.

Livre cité

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017).

Cet article a été préparé en novembre 2020.