Cette image de couverture est complètement anachronique puisqu’elle représente le cimetière Montmartre le 4 décembre 1851, après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte. Lorsque je l’ai vue sur le site du musée Carnavalet, je n’ai pas su résister au plaisir de vous la montrer. Mon excuse est que je cherchais une image du cimetière Montmartre, où a été enterré Félix Theisz. Et c’est bien une fosse commune de ce cimetière que montre cette image. Je précise que la législation (un décret du 23 prairial an XII-12 juin 1804) interdisait d’enterrer les morts comme sur cette image: ils doivent être dans des bières, bien écartés et enterrés plus profondément. Il n’est pourtant pas exclu que des victimes de la répression de décembre 1851 aient bien été inhumés ainsi. Ce fut aussi le cas de certains des morts de la Commune — mais pas celui de Félix Theisz, dont il est question dans cet article: nous sommes treize jours avant la Semaine sanglante.

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De Félix Theisz, frère d’Albert Theisz, nous avons appris la grave blessure (voir notre article du 19 avril), puis qu’il allait mieux (voir notre article du 28 avril).

Avant de vous parler de sa mort et de son enterrement, deux ou trois choses que je sais de lui.

Il est né le 18 décembre 1828 à Dunkerque — les enfants Theisz sont nés dans les villes du bord de la Manche selon les mutations de leur père gendarme de marine. Il était ébéniste, comme son frère aîné Charles Eugène (né à Cherbourg en 1821). J’ai déjà évoqué son mariage avec Désirée Huet. Ils ont eu leur premier enfant, une petite fille, le 9 mai 1859. Puis une autre, qui meurt à l’âge de un an. Et encore d’autres. Ils vivent rue de Reuilly, rue de Montreuil, dans le quartier des ébénistes, puis ils viennent à La Chapelle où vivent les parents Theisz et les deux jeunes frères de Félix, Albert et Frédéric. En 1871, ils habitent 64, Grande rue de La Chapelle.

Je ne sais pas combien il leur reste d’enfants vivants, au moins une fille et un garçon, Albertine, née en 1862 et Camille, né en 1864, dont j’ai vu les actes de mariage, des années plus tard — en lisant ces actes j’ai appris que leur mère, Désirée, ne savait pas signer son nom. Ce n’est pas dans une campagne reculée en 1830 mais bien à Paris, dans les années 1880.

Et Félix Theisz meurt, le 7 mai, à cinq heures du matin, à l’ambulance militaire, 126 rue de l’Université (ambulance du Corps législatif). Il est une des nombreuses victimes de la violente guerre menée par Versailles depuis le 2 avril, pour le moment encore à l’extérieur des fortifications (sur ces morts, voir mon livre La Semaine sanglante).

Le Journal officiel du 8 annonce:

Le citoyen Félix Theisz, capitaine d’artillerie, frère membre de la Commune, directeur général des postes, est décédé à l’ambulance du Corps-Législatif, des suites d’une blessure reçue à Neuilly, en défendant les droits du peuple de Paris.
Le convoi aura lieu le lundi 8 mai, à trois heures. Ses nombreux amis qui n’auraient pas reçu de billet de faire part, sont priés de considérer le présent avis comme invitation.
On se réunira au domicile du défunt, 64, Grande-Rue de la Chapelle.

(Le même journal annonçait à la suite la mort du journaliste réactionnaire Gustave de Molinari qui nous a fait tant rire avec ses comptes rendus de réunions de clubs pendant le siège, mais c’était une fausse nouvelle. Félix Theisz, lui, était bien mort.)
Le RappelLe VengeurLe Cri du peupleLe Réveil du peuple et peut-être d’autres encore, publiaient la même annonce.

Il reste à raconter son enterrement, ce que fait Émile Lambry:

Le frère de M. Theisz, qui commandait une batterie de l’artillerie fédérée, avait été blessé au début de la guerre civile. Il mourut le 6 mai [le 7], et son enterrement eut lieu le 8. Tout le personnel de l’administration des postes, agents et sous-agents, suivit le convoi. Au cimetière Montmartre, un petit incident se produisit au moment où le citoyen Jourde prononçait quelques paroles sur la fosse. Un obus tomba dans le cimetière et vint éclater à dix mètres des assistants.

Les versaillais sont à l’extérieur des fortifications, mais assez près pour envoyer des obus sur le cimetière Montmartre…

La Commune avait offert à M. Theisz de charger des funérailles et d’acheter à ses frais une concession à perpétuité. Le directeur général des postes s’y était opposé, et, comme il ne possédait pas par devers lui la somme nécessaire à l’achat d’un terrain, le corps de son frère fut déposé à la fosse commune.

J’ai déjà montré ces quelques lignes du registre d’inhumations du cimetière Montmartre dans un article un peu plus ancien:

Livres cités

Audin (Michèle)La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Lambry (Émile)Les mystères du cabinet noir sous l’Empire et la poste sous la Commune, précédés d’une lettre de Bonvalet, Dentu (1871).

Cet article a été préparé en décembre 2020.