Dans notre lecture du compte rendu du procès de Louise Michel le 16 décembre 1871, nous en sommes restés à la question du mobile qui l’a poussée « dans la voie fatale de la politique et de la révolution ». Comme dans les articles précédents, je lis La Gazette des tribunaux du 17 décembre 1871.
Le voici ce mobile:
C’est évidemment l’orgueil.
Fille illégitime élevée par charité,
[Je vous laisse apprécier ce commentaire: malgré ce crime qu’elle a commis, de naître hors mariage, on (c’est de la famille de son père qu’il s’agit) a été charitable et l’a élevée. L’interrogatoire du 28 juin, pas vraiment à l’honneur de l’armée française lui non plus, ne recèle, sur ce point que ceci: « — Madame votre mère était-elle mariée? — Non. — N’aviez-vous pas des relations intimes avec un homme? — Non, je n’avais qu’une passion, celle de la Révolution ».]
au lieu de remercier la Providence qui lui avait donné une instruction supérieure et les moyens de vivre heureuse avec sa mère, elle se laisse aller à son caractère irascible, et, près avoir rompu avec ses bienfaiteurs, va courir l’aventure à Paris.
Il importe peu de connaître les nombreux déboires, les amères déceptions qui l’attendaient dans la ville de ses rêves, dans ce réceptacle des déclassés et des envieux de tous les pays.
Il suffit de la suivre, d’examiner sa position et son attitude dans ces derniers temps.
Placée au milieu de gens constamment en lutte avec l’ordre de choses établi, elle comprend bien vite tout l’ascendant qu’elle peut exercer sur ces natures aussi ignorantes que perverses…
Le vent de la révolution commence à souffler: Victor Noir vient de mourir.
[De mort naturelle, sans doute?]
C’est le moment d’entrer en scène, mais le rôle de comparse répugne à Louise Michel; son nom doit frapper l’attention publique et figurer en première ligne dans les proclamations et les réclames trompeuses. Et pour assurer un certain retentissement à ses œuvres soi-disant philanthropiques, elle n’hésite pas à commettre le faux, par supposition de personnes, en se servant des noms de mères de famille, sous prétexte de faire bénéficier celles-ci des grandes idées qu’elle seule a conçues.
[Dans l’interrogatoire des 3 et 5 décembre: « Oui, il m’est arrivé presque toujours dans mes manifestes de me servir des noms de femmes honnêtes du Peuple, pour qu’elles aient part aux idées d’éducation et de dignité de la femme. — C’était une chose très grave que vous faisiez là et qui, tout en constituant le faux, compromettait très gravement les femmes dont vous empruntiez les noms. — Cette idée ne m’est jamais venue, et je ne pensais pas qu’on pût les poursuivre pour cela ». N’est-ce pas simplement pour innocenter des femmes qui ont signé avec elle?]
Pour en finir avec ce besoin de paraître, de faire parler de soi, qui échappe à chaque instant à la prévenue, il faudrait posséder toutes les élucubrations sorties de son cerveau, tous les manifestes qu’elle a fait paraître, tous les discours qu’elle a tenus pendant la période insurrectionnelle, mais les pièces que nous avons eues en disent assez.
La prison n’apporte pas la moindre réflexion, le plus faible remords à de cœur de marbre.
Sa vieille mère manque peut-être de pain, mais qu’importe?
[Faut-il rappeler que c’est l’armée à laquelle appartient ce monsieur qui a arrêté la « vieille mère » et que c’est pour la délivrer que « la prévenue » s’est constituée prisonnière?]
Louise Michel a bien autre chose à faire que de penser à cette misère; il vaut bien mieux composer des vers outrageants et faire des menaces de mort contre les honnêtes gens qui accomplissent leur devoir.
Il ne nous reste plus qu’à donner la qualification légale aux actes commis par cette énergumène depuis le commencement de la crise épouvantable que la France vient de traverser jusqu’à la fin du combat impie auquel elle prit part au milieu des tombes du cimetière Montmartre.
En songeant au mal que Louise Michel a fait, aux malheureux qu’elle a entraînés dans l’abîme, le doute n’est pas permis. Non, ce n’est point une criminelle ordinaire, à laquelle les seuls articles du droit politique peuvent être appliqués. Affiliée ou agent de l’Internationale, qui avait prémédité tous les forfaits commis par la Commune, elle est la complice naturelle de ces crimes et se charge elle-même de le prouver.
[Le paragraphe encore plus délirant qui suit est bien entre guillemets, comme s’il s’agissait d’une citation.]
Sors de la tombe, s’écrie-t-elle, ô République! Viens voir cette prostituée qu’ils font passer pour toi, et qui, ayant livré ses filles, s’est enfin livrée elle même! Réjouissez-vous, maudits! voici la paix infâme! Vous allez boire à grands traits, manger à plein ventre, dormir de longues nuits, jouir de tous les bonheurs de la brute.Réjouissez-vous, allumez vos feux de joie; nous ferons le nôtre! Vivez calmes, heureux, repus; nous sommes là. Reposez-vous; nous veillons!
Elle a assisté, avec connaissance, les auteurs de l’arrestation des généraux Lecomte et Clément Thomas dans les faits qui l’ont consommée, et cette arrestation a été suivie de tortures corporelles et de la mort de ces deux infortunés.
Intimement liée avec les membres de la Commune, elle connaissait d’avance tous leurs plans.
[Ce sera « précisé », par Louise Michel elle-même, dans l’interrogatoire qui va suivre.]
Elle les a aidés de toutes ses forces, de toute sa volonté; bien plus, elle les a assistés et souvent elle les a dépassés. Elle leur a offert de se rendre à Versailles et d’assassiner le président de la République, afin de terrifier l’Assemblée, et, selon elle, de faire cesser la lutte.
Elle est aussi coupable que « Ferré le fier républicain », qu’elle défend d’une façon si étrange, et dont la tête, pour nous servir de son expression, « est un défi jeté aux consciences et la réponse une révolution ».
Elle a excité les passions de la foule, prêché la guerre sans merci ni trêve, et, louve avide de sang, elle a provoqué la mort des otages par ses machinations infernales.
En conséquence, notre avis est qu’il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour:
Je vous passe la suite, et les sept choses qu’on lui reproche, mais pas la liste des articles du code pénal (87, 91, 150, 151, 59, 60, 302, 341, 344) et de la loi du 24 mai 1834 (5) qui ont prévu ces crimes.
Louise Michel a écouté ce rapport attentivement. Parfois, elle sourit avec dédain et paraît vouloir parler, mais elle ne murmure que quelques mots à voix basse.
Nous lirons son interrogatoire dans le prochain article, à suivre, donc…
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J’ai déjà utilisé plusieurs fois cette magnifique image d’Éloi Valat (voir ici), mais je ne m’en lasse pas…
Livre utilisé
Michel (Louise), Mémoires 1886, édition établie, présentée et annotée par Claude Rétat, Folio (2021).