Nous sommes toujours le 16 décembre au procès de Louise Michel. Reprenons donc la lecture de cet intéressant rapport. Nous arrivions au 18 mars…
Il est inutile, sans doute, de retracer en entier les incidents de ce jour néfaste, et comme point de départ de l’accusation, nous nous bornerons à préciser la part prise par Louise Michel dans le drame sanglant dont les buttes Montmartre et la rue des Rosiers furent le théâtre.
Dès la veille, les émeutiers convoqués par le Comité central se tenaient prêts à s’opposer à l’enlèvement des canons.
[Je me demande toujours s’ils croyaient vraiment à ce qu’ils racontaient… n’importe, c’est la « vérité » à partir de laquelle ils jugent. Et ils sont le pouvoir…]
Au signal du tocsin et de la générale, la prévenue, armée d’une carabine et vêtue du costume de garde national, quitte son domicile et se dirige vers le terrain où la lutte doit s’engager. Et comme elle sait qu’elle va commettre un crime, elle s’arrête en chemin pour demander si on peut la reconnaître dans l’accoutrement qu’elle vient d’emprunter. Elle cherche ensuite, selon son dire, à répandre l’idée révolutionnaire et se rend au Comité de la rue des Rosiers.
Que se passa-t-il alors dans cette maison prédestinée et choisie d’avance par les conjurés?
C’est ce qu’on ne saura jamais sans doute, car quelle n’est pas, en matière de complot, la difficulté des recherches et surtout des preuves judiciaires!
Dans tous les cas, la complice de l’arrestation des infortunés généraux Lecomte et Clément Thomas craint de voir les deux victimes lui échapper. « Ne les lâchez pas! » crie-t-elle de toutes ses forces aux misérables qui les entourent.
Et plus tard, lorsque le meurtre est accomplie, en présence, pour ainsi dire, des cadavres mutilés, elle témoigne sa joie pour le sang versé et ose proclamer « que c’est bien fait »; puis, radieuse, elle se rend à Belleville et à la Villette, pour s’assurer « que ces quartiers sont restés armés ».
Le 19, elle rentre chez elle, après avoir pris la précaution de se dépouiller de l’uniforme fédéré qui peut la compromettre; mais elle éprouve le besoin de causer un peu des événements avec sa concierge.
Ah! s’écrie-t-elle, si Clemenceau était arrivé quelques instants plus tôt rue des Rosiers, on n’aurait pas fusillé les généraux, parce qu’il s’y serait opposé, étant du côté des Versaillais.
Enfin « l’heure de l’avènement du peuple a sonné »,
[Une note de bas de page nous informe qu’il s’agit d’une citation d’une lettre de Cluseret à Varlin datée de février 1870, certainement saisie chez ce dernier par la police bonapartiste.]
Paris, au pouvoir de l’étranger et des vauriens accourus de tous les coins du monde, proclame la Commune.
Secrétaire de la société dite de « Moralisation des ouvrières par le travail », Louise Michel organise le fameux Comité central de l’Union des femmes,
[Dans son interrogatoire des 3 et 5 décembre, elle a reconnu y avoir participé et même rédigé une de ses proclamations. « Oui, je reconnais être l’auteur de tout cela ». C’est pourtant très douteux: les textes de l’Union des femmes sont signés et son nom n’y figure pas… Et d’ailleurs elle n’en parle pas dans ses Mémoires. Je reviendrai sur cette question dans un article ultérieur.]
ainsi que les comités de vigilance chargés de recruter les ambulanciers [ambulancières?], et, au moment suprême, des travailleuses pour les barricades, peut-être même des incendiaires.
[Je vous passe la proclamation de l’Union des femmes publiée dans le Journal officiel du 8 mai et que j’ai déjà reproduite là. Notre greffier revient à Louise Michel.]
Cumulant tous les emplois, elle dirigeait une école, rue Oudot, 24. Là, du haut de sa chaire, elle professait, à ses rares loisirs, les doctrines de la libre pensée et faisait chanter à ses jeunes élèves les poésies tombées de sa plume, entre autres la chanson intitulée: les Vengeurs, dont nous donnerons seulement le premier couplet:
La coupe déborde de fange;
Pour la laver, il faut du sang!
Foule vile, dors, bois et mange:
Le peuple est là, sinistre et grand.
Là-bas, les rois guettent dans l’ombre
Pour venir quand il sera mort!
Déjà depuis longtemps il dort,
Couché dans le sépulcre sombre.
[Le refrain de cette chanson, qui nous est parvenue grâce à l’armée et au glorieux rôle de police qu’elle a joué à cette époque, fait référence au « Rhin allemand », ce qui lui donne un sens un peu différent.]
Présidente du club de la Révolution, tenu à l’église Saint-Bernard, Louise Michel est responsable du vote rendu dans la séance du 18 mai (21 floréal an 79) [10 mai, en fait] et ayant pour but:
La suppression de la magistrature, l’anéantissement des Codes, leur remplacement par une commission de justice;
La suppression des cultes, l’arrestation immédiate des prêtres, la vente de leurs biens et de ceux des fuyards et des traîtres qui ont soutenu les misérables de Versailles;
L’exécution d’un otage sérieux toutes les vingt-quatre heures, jusqu’à la mise en liberté et l’arrivée à Paris du citoyen Blanqui, nommé membre de la Commune.
[Il s’agit de « l’article » du Cri du peuple que Louise Michel a « reconnu » avoir écrit, voir notre article précédent.]
Ce n’était point assez, cependant, pour cette âme ardente, comme veut bien la qualifier l’auteur d’une notice fantaisiste qui figure au dossier,
[Selon Claude Rétat (Mémoires 1886, p.358), cet auteur est M. Mauté de Fleurville (je suppose qu’il s’agit du père de Mathilde Mauté, amie de Louise Michel et épouse de Paul Verlaine).]
de soulever la populace, d’applaudir à l’assassinat, de corrompre l’enfance, de prêcher une lutte fratricide, de pousser en un mot à tous les crimes, il fallait encore donner l’exemple et payer de sa personne!
Aussi la trouvons-nous à Issy, à Clamart et à Montmartre, combattant au premier rang, faisant le coup de feu ou ralliant les fuyards.
Le Cri du Peuple l’atteste ainsi dans son numéro du 14 avril:
La citoyenne Louise Michel, qui a combattu si vaillamment aux Moulineaux, a été blessée au fort d’Issy.
Très heureusement pour elle, nous nous empressons de le reconnaître, l’héroïne de Jules Vallès était sortie de cette brillante affaire avec une simple entorse.
Quel est le mobile qui a poussé Louise Michel dans la voie fatale de la politique et de la révolution?
Eh bien… mais vous le saurez dans notre prochain épisode!
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J’ai déjà utilisé la belle image de fédérée, due à Daniel Vierge, pour illustrer un article du printemps.
Livre cité
Michel (Louise), Mémoires 1886, édition établie, présentée et annotée par Claude Rétat, Folio (2021).