Après quelques parenthèses, toutes liées à l’actualité d’avril 1871, revenons à la publication des souvenirs de Maxime Lisbonne. Nous en étions là…
Comme dans les articles précédents de ces souvenirs, les dates sont celles de la publication des articles dans L’Ami du peuple. Et tout ce qui est en bleu m’est dû.
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Le 3 avril, Cluseret, délégué à la Guerre, me confia le commandement de la 10e légion. Je m’établis à la caserne du Château-d’eau. Il m’avait donné l’ordre d’activer l’organisation des compagnies de marche appelées à relever la division qui était à Issy sous le commandement du général Eudes.
11 janvier 1885
Ce fut Rossel, son colonel chef d’état-major, qui me reçut au ministère quand j’y vins pour obtenir les effets d’habillement, d’armement et de campement nécessaires à la légion.
[Louis Nathaniel Rossel, dont il va être beaucoup question dans la suite, était un jeune (né en 1844) officier (ancien polytechnicien), passé à la Commune par patriotisme. On le verra plus bas délégué à la Guerre. Pour l’instant il est chef d’état-major du délégué, Cluseret.]
Ces objets ne devaient m’être délivrés que sur des bons réguliers. J’eusse compris en temps de paix cette régularité, mais ne pouvant arriver, en suivant la filière administrative et hiérarchique, à organiser la légion dans un bref délai dans de telles conditions, j’acceptai les offres d’un citoyen qui me mit en rapport avec la maison Manteau-Lunel.
Le marché conclu et les effets livrés, un simple reçu de ma part, stipulant les quantités délivrées et le montant de cet achat, suffit au Comité central, toujours chargé de l’organisation de la garde nationale, pour faire payer par les intendants May la maison Manteau-Lunel.
Le 13 avril, à quatre heures du soir, quinze bataillons de marche étaient réunis sur le boulevard Saint-Germain, derrière le ministère de la guerre, et le délégué Cluseret les passa en revue.
À mon départ pour Issy, après avoir pris les ordres du général Cluseret, Rossel s’approcha de moi et me dit:
En révolution, il est toujours difficile, quand on ne connaît pas le passé politique des hommes de leur laisser le champ libre. En dix jours, vous avez mis quinze bataillons en état d’aller combattre; vous avez enfreint, il est vrai, mes ordres, mais ce prompt résultat m’assure de votre dévouement à la cause que vous défendez. Bonne chance et au revoir.
Nous arrivâmes à Issy vers les six heures et demie du soir, des bataillons prirent possession des tranchées et des avant-postes. Le 137e monta au fort d’Issy, le restant de la colonne fut cantonnée au couvent des Oiseaux et dans le village comme réserve.
À huit heures et demie, nos positions furent attaquées, le fort d’Issy canonna jusqu’à minuit. La fusillade fut très vive aux avant-postes, mais les versaillais furent repoussés.
Le lendemain 14 avril, Eudes quitta le séminaire et alla établir son quartier général au Grand-Montrouge. Il emmena avec lui deux bataillons de la légion, les 128e et 172e bataillons.
Du 14 au 28 avril, toutes les attaques versaillaises furent repoussées.
[Ici (à Issy) nous sommes en pays de connaissance, puisque nous avons lu les lettres d’une ambulancière du 153e bataillon, un autre bataillon du dixième, qu’elle a rejoint au fort d’Issy le 17 avril. Elle a décrit de façon vivante et précise tous ces lieux, le fort, le couvent des Oiseaux, le cimetière… et les conditions dans lesquelles son bataillon a combattu. Le livre de Marcel Cerf comporte une mention un peu étrange de ce témoignage. Selon lui, Alix Payen se serait exprimée avec rancœur sur le compte de Lisbonne. Elle ne le mentionne pourtant qu’une fois, en disant que c’est Lisbonne qui a donné des bottes de paille sur lesquelles elle a dormi dans la cuisine du couvent des Oiseaux. Il est vrai qu’elle ajoute « à regret, sur la nourriture de son cheval ». Les descriptions d’Alix Payen sont pourtant un idéal (et authentique) témoignage sur la vie quotidienne des gardes nationaux en campagne, un complément qui donne un peu de chair aux souvenirs de l’officier Maxime Lisbonne. Voir son livre ou, sur le point précis de la botte de paille, cet article.]
Notre ligne de défense s’étendait de la gare de Clamart jusqu’à la Seine. Je pensai que le village et le fort d’Issy n’étaient pour l’armée de Versailles qu’un objectif peu important; jamais ils n’auraient l’intention de pousser sur ce point une attaque décisive, et que leur attaque offensive et presque journalière n’avait qu’un but, nous faire rassembler nos forces de ce côté pour leur permettre d’agir sur Neuilly d’une façon plus efficace.
Cependant, le 28 à huit heures du soir, nous fumes attaqués sur toute la ligne. La barricade des Moulineaux fut bien près de tomber en leur possession. Une partie du parc d’Issy était déjà envahie par leurs tirailleurs. L’artilleur du cimetière et son fils, âgé de douze ans à peine, qui depuis le 2 avril n’avait pas abandonné un seul instant sa pièce, furent tués. Mais le 107e et le 203e bataillons avaient repoussé l’attaque de Clamart et du cimetière; à la tête d’une petite colonne, j’avais repris le Parc.
Pendant ce temps, le commandant Lohay du 186e bataillon avait aussi, de son côté, sauvegardé l’entrée du village d’Issy en défendant avec opiniâtreté la barricade des Moulineaux. Il avait été renforcé par le 170e bataillon, qui perdit, vers la fin de l’action, son chef le commandant Broteau.
(À suivre)
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J’ai déjà utilisé cet extrait d’un plan du fort d’Issy pour illustrer un des articles d’Alix Payen.
Livre cité
Payen (Alix), C’est la nuit surtout que le combat devient furieux Une ambulancière de la Commune, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2020).