Suite de l’épisode précédent de ces souvenirs. Comme toujours, les dates sont celles des parutions de ces fragments dans L’Ami du Peuple. Et le bleu m’est dû.

Le mouvement de retraite s’opéra et nous le continuâmes pour gagner ensuite la mairie du XIe en passant par le boulevard Saint-Germain après avoir descendu la Montagne Sainte-Geneviève, l’Entrepôt, le quai Napoléon et descendre sur le 11e arrondissement par l’avenue Daumesnil.

Le commandant Monier fut chargé d’en assurer l’exécution.

Je quittai le Panthéon une heure après accompagné d’un officier, le citoyen Chatelain. Je m’assurai qu’on ne projetait aucun incendie inutile, et j’engageai ensuite les 80 gardes nationaux sédentaires qui gardaient la mairie à l’évacuer. Ils refusèrent de quitter leur poste, une demi-heure après ces malheureux qui n’avaient fait d’autre service que de veiller à la tranquillité publique dans l’arrondissement, furent assassinés par les versaillais. [« par trois fois, dit Jean Allemane, l’ordre sera envoyé à Lisbonne de se replier sur le Onzième. Il voudra m’y entraîner, je refuserai, c’est à regret qu’il me quittera, entraînant avec lui la presque totalité des combattants »]

Cinquante volontaires que j’avais placés en tirailleurs dans les rues adjacentes qui qui tombent au Panthéon entretenaient le feu avec les tirailleurs versaillais qui avançaient de tous côtés. Mais le gros des bataillons n’avançaient pas. Ils croyaient sauter en mettant le pied au Panthéon [Je renvoie à ce qu’en dit Germain Dathie, soldat versaillais, voir cet article.].

En quittant la mairie je fis je fis une dernière fois la tentative d’emmener les gardes nationaux sédentaires qui fut nulle, et en rappelant à moi mes volontaires, j’aperçus une vingtaine de lignards, au coin de la rue d’Ulm. Je rejoignis ma colonne et pris le commandement de la retraite.

Un homme a écrit que les francs-tireurs avaient assassiné rue Vavin une femme qu’il désignait sous le nom de la Charcutière.

15 mars 1885

Il se peut qu’une balle perdue ait atteint cette infortunée. Mais que ce soit volontairement et par cruauté que cette femme ait été tuée, je donne ici à cet écrivain le démenti le plus formel.

Aujourd’hui le temps est passé où l’on pouvait ajouter foi aux racontars de certaines personnes.

J’ajoute que l’infâme gredin qui a osé inventer, pour les besoins de sa cause, de semblable faits est un misérable, et je le dénonce à l’opinion publique. C’est celui qui a été choisi par le gouvernement de la défense pour crocheter les secrétaires et saisir la correspondance impériale et qui a livré à la publicité ce qu’il lui a convenu; celui qui a écrit sous la Commune un livre mensonger, celui qui enfin a reçu pour le prix de ces infamies la croix de la légion d’honneur, c’est Monsieur Claretie. [Jules Claretie a été décoré de la légion d’honneur le 7 février 1878. Le « feuilleton » de Maxime Lisbonne en 1885 ne l’a pas empêché de devenir officier de cet ordre le 20 décembre 1886 (et plus jusqu’en 1914…). Le livre mensonger dont parle Maxime Lisbonne est l’Histoire de la Révolution de 1870-71, dont Jean Allemane dit « il fourmille de tant d’inexactitudes ». On trouvera le passage incriminé par Maxime Lisbonne à la page 686. Dans la lettre à Humbert qui accompagnait l’envoi de son manuscrit, il disait:

Claretie, Alexandre Dumas, je m’en f… comme d’une guigne. Le premier surtout, et que je sois là ou non, il a assez essayé de me salir, plus il en dira, plus il recevra de coups de canne !]

Quant à l’incendie de la rue Vavin, il a été ordonné par un citoyen vêtu en bourgeois et ceint d’une écharpe rouge, qui vint vers midi se disant porteur d’un ordre. La défense qui a eu lieu à cette barricade prouve d’ailleurs que l’incendie n’avait qu’un but, élever une barrière infranchissable entre les versaillais et le Luxembourg pour retarder leur marche sur le Panthéon. S’il y a eu des victimes, je le déplore, mais ne sont-ce pas les tristes conséquences de la précipitation avec laquelle l’ordre a été exécuté.

(À suivre)

Livres cités

Allemane (Jean)Mémoires d’un communard — des barricades aux bagnes, Librairie socialiste (1906).

Claretie (Jules)Histoire de la Révolution de 1870-71, Paris, Publications de la librairie illustrée (1877).

*

Aussi incroyable que cela puisse paraître, je n’avais pas encore utilisé Guerre civile, d’Édouard Manet (voir mon article à son sujet). La voici, provenant du Musée Carnavalet.