Pour ce dernier article (voir le précédent ici) de cette série sur jean-Baptiste Chautard, je continue à lire le texte de Germaine Pinard, cette fois, je vais même simplement en copier et en résumer des passages. Marie Chautard et son fils Ernest sont au cœur des massacres. Elle est là, chez elle, elle attend sont mari… s’il vient. Où est-il ? Vivant ? Mort ? Ils attendent. Elle a soigneusement détruit ou caché tout ce qui pouvait être compromettant.
Elle ne sait pas non plus où est Victor. Soldat, il ne peut être un massacreur parmi les massacreurs, alors ?
Mais l’angoissant pour l’instant, c’est le sort de Jean-Baptiste. A t-il pu s’échapper, ou agonise t-il dans un coin? Les ponts sont gardés, les combats et les massacres continuent sur la rive droite où tonne le canon.
Au matin du 25 mai on tue toujours dans le quartier. Germaine raconte l’exécution d’Eugène André, rue du Cardinal Lemoine.
J’ai connu sa veuve, chez qui, quand j’étais tout enfant, ma grand-mère m’emmenait quand elle voulait raviver des souvenirs d’autrefois. C’était alors vers 1903, une vieille dame, ancien professeur de dessin, qui peignait encore des reproductions d’estampes dont on lui faisait commande.
Marie part à la recherche de son mari. Rue Clovis, place du Panthéon, bibliothèque Sainte-Geneviève, son regard fouillant les tas de corps fusillés, devant la mairie, les portes cochères de la rue Soufflot, la fontaine Médicis, elle rentre chez elle par la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Voir le plan ci-dessus, extrait de toujours le même plan de Paris…
Après les corps, les voitures qui emmènent ces corps…
Jamais ma grand-mère ne m’a dit ses sentiments pendant qu’elle parcourait le quartier, de tas de cadavres en tas de cadavres, à la recherche de Jean-Baptiste, son mari. Elle s’est contentée de me décrire ce qu’elle avait vu, presque sèchement, le visage tendu, sans commentaires.
Et puis, le vendredi 26, par la pluie qui ne cesse de la journée, on vient discrètement avertir Marie: Jean-Baptiste est vivant, caché non loin de là, chez des amis d’amis. Enfin !
Le soir du même jour se présentèrent les soldats Versaillais:
— Ou est votre mari ?
— Je n’en sais rien, hélas ! Je suis sans nouvelles depuis lundi.
— Nous allons vous en donner: il a été fusillé.
Myette, le croyant découvert, eut un coup au coeur qui cette fois ne fut pas feint
— Où, comment ?
— Sur les marches du Panthéon, avec Millière.
Elle savait son mari en sûreté quand Millière fut fusillé. Elle joua le désespoir. Ils s’en retournèrent sans avoir pu la faire parler. Elle se mit à la recherche d’un autre abri pour lui. Il était dangereux d’héberger un suspect: toute la famille etait alors passée par les armes. Et cependant, tant Jean-Baptiste avait forcé l’estime et l’amitié, c’est sans peine qu’elle trouva une famille pour l’accueillir.
Germaine ne savait pas qui étaient ces gens. Ils vivent sur la rive droite, en tout cas. Marie s’y rend par le pont de l’Archevêché et le pont d’Arcole, longeant ensuite les ruines fumantes de l’Hotel de Ville et traversant la rue Lobau, où les exécutions avaient duré cinq jours… Puis elle accompagne son mari. Ce qui a lieu sans encombre. Puis il lui faut des faux-papiers. Elle lui donne tout l’argent liquide des économies et de ce qu’elle a pu se procurer en portant au mont de piété ses bijoux et ses couverts d’argenterie. Et il part pour Londres.
Elle doit encore se préoccuper de leur fils Victor.
Elle court à Versailles. Le soldat Chautard est en prison en instance de Conseil de Guerre. Pourquoi? Un jour qu’il était question d’envoyer son régiment contre Paris, il a fait le geste de casser son fusil sur son genou. L’affaire est grave, dans le climat de l’époque, pour un garçon de vingt ans qui a combattu sous les ordres de Garibaldi et n’a pas caché son enthousiasme pour « cet aventurier » qui s’est permis de gagner des batailles à la France. Il va passer en conseil de guerre dans un mois. Elle remue ciel et terre, finit par s’adresser à un ancien professeur de Victor aux Beaux-Arts, qui est officier de réserve à Versailles. Victor a été finalement relaxé.
En attendant… elle se rend tous les dimanches à Versailles, avec un panier de provisions pour lui. Elle n’a plus d’argent et fait les allers et retours à pied. Elle a, outre la sienne, trois bouches à nourrir: Ernest et son appétit de douze ans, la petite fille de qui, en Auvergne il faut payer la nourrice, et Victor à Versailles.
Elle cherche du travail. Sans rechigner sur ce qu’on lui propose. Une vie de femme…
Pour être complète, quelques indications sur la suite pour Jean-Baptiste Chautard:
- à Londres, il habite 51 Cleveland Street
- en juillet 1871, il est dans la section fédéraliste française de l’Association internationale des travailleurs
- Le 17 octobre 1871, il est envoyé comme délégué au Conseil Général, qui le refuse.
- Il est ensuite exclu de sa section,
- c’est le début d’une « affaire » comme il y en a tant dans la proscription, il est accusé d’être un mouchard, d’appartenir à la police française…
- Le 22 octobre 1872, le 6e conseil de guerre le condamne par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée
- Le 1er septembre 1873 il commence à écrite un livre pour prouver son innocence, « Extrait de trente ans de la vie d’un ouvrier de Paris » (qui se trouve dans les archives de l’IISG) et il part pour Bruxelles.
- il est gracié le 29 mai 1879 et rentre à Paris.
Comme pour beaucoup de proscrits, sa vie est ensuite très difficile. D’autant plus que lui et sa femme sont séparés. Pour la suite, c’est-à-dire la fin, voir le premier article de cette série.
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Un grand merci à Léa Bardi pour son insistance et pour toutes les informations qu’elle m’a données.