Voici l’antépénultième des articles que nous a confiés Maxime Lisbonne. Suite, donc, du précédent. Comme dans les articles précédents, les dates sont celles de la publication de l’article dans L’Ami du peuple et ce qui est en bleu m’est dû.

Un médecin à cinq galons, M. Pellegrain, partageait nos opinions et venait souvent rendre visite à Maroteau. Mais les forçats infirmiers, qui se mouchardaient entre eux, avaient averti le commissaire du bagne des visites de M. Pellegrain. Aussi Maroteau fut-il conduit à la casemate, où il était encore attaché au Rama [Ce mot d’argot du bagne désigne la tringle de fer à laquelle le bagnard est attaché, ou le dortoir du bagne, où l’on est effectivement attaché.].

La nourriture qu’il absorbait n’était pas faite pour le rétablir.
D’ailleurs, j’en parlerai lorsque j’arriverai à mon séjour au bagne.

Comme toujours, le clergé était aussi canaille à Toulon qu’à Paris. La potence noire vint trouver Maroteau à la casemate et lui dit ces paroles textuelles:

Tu es cause de la mort de l’archevêque de Paris. Nous te ferons crever à la Nouvelle-Calédonie.

23 avril 1885

Après le départ de Maroteau je restai presque seul de communard à l’hôpital. Mon instruction qui avait été interrompue fut reprise par le même rapporteur M. de Planet, capitaine, un enfant de Toulouse.

Sous des dehors attrayants, cet enfant du Capitole était un gredin. Après un mois d’instruction je fus envoyé devant le 3e conseil de guerre présidé par le colonel Jobey. J’avais été spécialement accusé de l’incendie de la rue Vavin. J’avais accepté moralement le fait, matériellement je le niais.

En effet, l’incendie de la rue Vavin est un fait de défense complètement légitime. Les barricades de la rue Bréa, d’Assas commençaient à être tournées par les versaillais qui étaient déjà maîtres du VIe arrondissement.

Cinquante hommes de corps francs, quelques gardes nationaux du Ve luttaient en désespérés à la barricade de la rue Vavin, afin d’empêcher l’armée de Versailles, qui était sur le boulevard Montparnasse, de pouvoir descendre et marcher sur le Panthéon.

Il fallait à tout prix résister, et l’incendie était une barrière infranchissable, puisque pendant que les maisons brûlaient, on ne cessait de tirer sur les troupes, et la barricade continuait de balayer par ses pièces d’artillerie les lignards qui essayaient d’avancer. En révolution, tous les moyens sont bons pour vaincre, du moment que ces extrémités ne sont accomplies que dans un but général.

Je parlerai plus tard du commandant qui était responsable de cet incendie.

Je le connaissais et je le connais encore. Lorsque ma femme me rendait visite, elle était obligée de se présenter au bureau de la justice militaire pour chercher une autorisation. Ces misérables officiers avaient l’infamie de lui tenir le langage suivant:

Nous savons, Madame, que c’est un commandant d’état-major à qui incombe la responsabilité de la rue Vavin; nous savons aussi que votre mari était au Panthéon lorsque l’incendie commença; nous savons encore par le boulanger chez qui le feu a été mis, que c’est bien un commandant qui en a donné l’ordre.
Nous l’avons autorisé à visiter toutes les prisons et hospices de Versailles, afin qu’il pût retrouver l’auteur qu’il assure pouvoir reconnaître.

Ma femme me prévint que ces bourreaux l’engageaient à me prier de dénoncer celui qu’ils cherchaient.

Une dernière preuve des faits que j’avance est celle-ci: La veille de mon procès, M. de Planet vint me trouver à l’hôpital et me proposa de donner le nom de mon ami, à ce prix, il retirerait de l’acte d’accusation l’incendie, et je serais condamné à la déportation. Je lui répondis qu’il n’y avait qu’un officier de l’armée de Versailles capable de proposer une telle infamie.

Je publierai incessamment un document sérieux et authentique sur cette affaire [À ma connaissance, il ne l’a pas fait.].

Le lendemain de cette visite, 4 décembre 71, je fus conduit en voiture à la salle du Manège [Un des lieux de la « justice » à Versailles… Voir cet article]. C’est avec grande difficulté qu’on put m’y monter et m’en descendre, je fus introduit dans la salle du Conseil assis sur un fauteuil. Les militaires appelés à me juger laissèrent refléter sur leur visage la haine et la vengeance. Je me dis en moi-même:

— T’es foutu!

Après avoir comme à l’usage entendu l’acte d’accusation auquel je ne prêtai nullement attention, sachant qu’ils étaient tous taillés sur le même patron, je fus interrogé sur mon identité.

Le colonel Jobey me prévint que je serais libre d’employer tous les moyens qui me conviendraient pour ma défense; mais de ne pas dépasser les bornes des convenances et surtout de ne pas lasser la patience des juges.

Le défilé des témoins commença.

(À suivre)

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J’ai déjà utilisé plusieurs fois l’image de la salle du Manège, notamment dans cet article.